Région la plus pauvre de France métropolitaine, avec plus de 18 % de la population* vivant sous le seuil de pauvreté (14 % en France) : parmi les motivations au vote massif d’extrême-droite en Corse, il y a la précarité.
Ce n’est pas là la seule raison, il suffit de voir le profil des candidats et quelques militants affichés dans l’île. Comme en France, on peut être électeur régulier d’extrême-droite aux scrutins nationaux en Corse tout en étant de bon niveau social, de « bonne famille », de bonne éducation, de bon niveau intellectuel et même, oh comble, en se jugeant « bon chrétien » ! On se laisse aisément convaincre aux discours sur l’insécurité, bien que n’ayant jamais été atteints par des problèmes de ce type, et par le discours anti-immigration bien que n’ayant là encore aucune mauvaise expérience vécue avec des migrants, et tout en adulant d’ailleurs des artistes ou des sportifs français issus de l’immigration ! La sociologie de cet électorat est multiple et complexe. On trouvera sûrement des explications dans l’habile manipulation des opinions qu’a su orchestrer l’extrême-droite en France depuis quelques années, en possession de la plupart des chaînes d’information en continue. Et désormais aussi à la profonde mutation de l’électorat insulaire opérée par l’arrivée importante de continentaux dans l’île toutes ces dernières années.
Ceci dit, la précarité est un facteur, il suffit de scruter les résultats dans les quartiers populaires des grandes villes. Et tous les voyants sont au rouge. Elle ne cesse de croître dans l’île, besoins et bénéficiaires sont de plus en plus nombreux, les associations s’époumonent à le dire et – force est de constater hélas – que le fléau n’est pas une priorité des hommes politiques.
Cela aurait dû pourtant interpeller depuis longtemps dans les analyses des différents scrutins.
À la veille du second tour, le Dr François Pernin, porte-parole de la Coordination inter-associative de lutte contre l’exclusion (CLE) s’en désolait : peu de candidats à l’élection législative en Corse ont répondu au questionnaire sur la précarité que la CLE a diffusé avant le premier tour.
« Hélas, certains de nos candidats sont aveugles et ne savent pas voir ceux qui n’ont jamais le droit à la parole » se désespérait le Dr Pernin, « trop peu de candidats ont joué le jeu » du questionnaire.
La CLE, ce n’est pas rien. C’est 15 associations de lutte contre la précarité, en première ligne quotidiennement sur le terrain, qui savent de quoi elles parlent. Certes, une campagne trop brève n’a pas permis de tout dire ou faire, mais « tout leader doit savoir distinguer ce qui est urgent et important. Or notre lettre écrite n’a pas été considérée comme urgente et importante, on est un peu meurtri par ce silence… »déplore François Pernin.
La pauvreté est pourtant « un problème politique majeur » martèle la CLE. Bien sûr, depuis l’adoption du Padduc, et plus fortement encore depuis 2015 et l’arrivée des nationalistes aux responsabilités à la Collectivité de Corse, beaucoup a été fait. Mais pas assez. Les politiques sont insuffisantes, les mesures trop lentement mises en application, pas assez coordonnées, pas assez impactantes sur le quotidien de celles et ceux qui se sentent exclus. C’est une lutte en profondeur qu’il faut mettre en place avec cohérence, suivi, et une volonté opiniâtre. « Nous atteignons des chiffres incroyables en Corse. C’est un enfant sur quatre qui est en situation de pauvreté et une famille sur trois, mal-logés, mal-nourris, mal-soignés, et tout cela augmente. On est au bord d’une révolution, il faut s’en rendre compte » hurle depuis des années le Dr Pernin.
La CLE estime qu’il faut un ministère entièrement dédié à ce fléau de la précarité. « La transversalité qu’on nous ressert ça fait 50 ans qu’on la fait avec les résultats que l’on voit : une pauvreté qui augmente. Ça ne marche pas. Il faut un chef d’orchestre, et ce chef d’orchestre dans une démocratie, c’est un ministère ».
Accès à la santé, à l’alimentation, au logement, lutte contre le décrochage scolaire, pour l’amélioration du pouvoir d’achat, accès à la formation, aux transports, à la culture, aux loisirs, aux droits, lutte contre les addictions, l’alcool, les drogues… comment agir à tous ces niveaux sans un plan d’ampleur coordonné à partir d’un ministère ?
La nouvelle majorité désormais en place depuis ce second tour en forme de sursaut le fera-t-elle ? Espérons-le !
En Corse, c’est au niveau de la Collectivité de Corse que ça se joue aussi. Pour arracher des moyens à Paris, et pour mieux coordonner et surtout accélérer les différentes politiques territoriales menées ici. •
F.G.
* INSEE 2020.
Pour toutes infos : www.cle-corse.fr