Pour comprendre la mobilisation spontanée de la population de Portu contre le bataillon de gendarmes envoyé par le préfet Lelarge pour évacuer René et son épouse de sa modeste maison à l’entrée du village, il faut resituer le contexte.
René a été de longues années le gérant de la « station du pont », au carrefour d’Èvisa, à l’entrée du pont qui mène aux supermarchés situés sur l’autre rive de la rivière a Pianella, qui forment la zone commerçante de la station touristique, dans sa partie la plus éloignée de la mer. René est un commerçant à l’ancienne, pas vraiment classique, mais présent et toujours disponible, et donc apprécié.
Un jour, il achète le terrain qui jouxte la station, quelques centaines de m2, entre les pompes et la maison cantonnière. Ce site n’est pas plus remarquable, ni moins remarquable, que celui où se trouve la station-service elle-même. Il en est la parfaite continuité, mais il se situe en aval de la route, route qu’un cartographe fainéant a jugé bon, il y 50 ans, de faire une limite intangible, celle du site classé du golfe de Porto-Girolata. Par voie de conséquence, il se retrouve « sur-protégé » par les lois et règlements en vigueur. Aussi toutes les demandes ultérieures de permis ou de régularisation se heurteront à cette réglementation.
Durant ses années de gérance, René n’a pas fait mystère de son projet de racheter la station et d’en étendre certains services (pneus, petite mécanique) sur son terrain mitoyen. Mais la propriétaire refuse de vendre et reprend son commerce.
Il se replie alors sur son bien où il installe, pour aménager l’heure de la retraite, l’activité para-commerciale qu’il avait projetée, provoquant la colère de la station voisine qu’il venait de quitter. S’ensuit des années de galère relationnelle et judiciaire, permis accordé, attaqué, annulé, redéposé, ré-annulé, tribunal administratif, cour administrative d’appel, cassation, des centaines de milliers d’euros d’astreinte, jusqu’à la mascarade préfectorale de la semaine dernière, malgré les promesses d’intercession qui lui avaient été faites pour arrêter la machine infernale d’une affaire judiciaire totalement disproportionnée.
À l’heure où l’urbanisme bafouant les lois triomphe régulièrement, à Mùrtoli, à Cavallu et Rundinara, route des Sanguinaires, sur la route du Cap au nord de Bastia, et tant d’exemples choquants, la machine judiciaire n’a pas hésité à écraser le retraité de Portu et son épouse, vaillants octogénaires : vingt gendarmes accompagnaient l’agent EDF réquisitionné pour leur couper le courant afin d’obtenir qu’ils soient obligés de quitter leur appartement construit au-dessus du commerce illicite, dans cette maison condamnée à la démolition par une décision de justice désormais définitive.
La révolte di i Purtulacci était spontanée et leur colère sincère. Nul ne comprend, ni admet, l’épilogue de ce dossier picrocholin. À chaque étape de la longue chaîne décisionnelle, il a manqué un minimum de lucidité et d’humanité. Le préfet Lelarge est venu mettre une nouvelle couche à cet impressionnant empilement de décisions disproportionnées. Avec tout le savoir-faire et la délicatesse qu’on lui connaît désormais. •