Le souvenir le plus marquant que j’ai de Jo Peraldi dans les années 80 est le reproche qu’il nous avait fait, avec le regretté Norbert Laredo, de ne pas l’avoir prévenu de l’action menée contre le moteur du Vaziu, en novembre 1983, quand le convoi spécial qui acheminait en Corse une pièce majeure d’un des moteurs de la centrale électrique avait terminé son voyage au fond du port d’Aiacciu. Je comprends rétrospectivement, en lisant son livre de « confessions » récemment publié, que le reporter-photographe du Provençal-Corse de l’époque en avait été frustré pour la photo manquée, tout autant que le commandant militaire du FLNC qui vivait alors plongé dans la clandestinité.
« Confessions d’un patriote corse » vient de sortir aux éditions Fayard. Il se dit que c’est un considérable succès de vente, et pas seulement en Corse.
Jo Peraldi, aujourd’hui octogénaire, retrace son action politico-militaire dès les origines de la clandestinité, à la veille des événements d’Aleria, jusqu’aux quinze années de prison auxquelles il a été condamné pour sa responsabilité dans les deux attentats « à l’irlandaise » qui ont marqué la Corse au tournant de l’an 2000, dévastant en plein jour les locaux de l’Urssaf et ceux de la DDE à Aiacciu. Ces deux attentats spectaculaires avaient été à l’origine du revirement de Lionel Jospin, alors Premier ministre socialiste placé jusque-là sous l’influence de son ministre de l’Intérieur, Jean Pierre Chevènement, et de sa décision d’enclencher le « processus de Matignon ». Un quart de siècle plus tard, on verra une similitude frappante avec le revirement du tandem Macron-Darmanin au lendemain des émeutes violentes qui ont suivi l’assassinat d’Yvan Colonna dans sa prison haute sécurité d’Arles.
Du parcours personnel que Jo Peraldi relate dans son livre, on comprend mieux le cheminement d’un des affluents qui ont convergé pour alimenter en militants les débuts de la revendication nationaliste corse dans la période moderne. Certains étaient issus des mouvements étudiants contestataires, souvent des « gauchistes », mais pas toujours, d’autres venaient des milieux socio-professionnels révoltés par le sous-développement économique, d’autres d’une filiation avec la résistance des années de guerre, etc. Il serait bien que ces hommes et ces femmes écrivent à leur tour, car ces témoignages sont des sources irremplaçables.
Jo Peraldi, lui, était dans sa jeunesse un militaire habitué des missions les plus dangereuses et les plus secrètes dans l’armée française durant la guerre d’Algérie. Il présente au lecteur ses médailles et les faits d’armes dont il a été l’auteur, sans jamais les renier. En cela on ne peut que le rapprocher de plusieurs de ses frères d’armes du FLNC, Jean Pierre Susini,
Marcel Lorenzoni, Pierre Albertini, et d’autres, dont le courage face au danger était énorme, que ce soit pour dynamiter le bateau des Boues Rouges de la Montedison, pour faire le coup de feu face à des gendarmes cinquante fois plus nombreux et mieux armés lors de l’occupation de la cave d’Aleria, ou encore pour assumer des opérations commandos invraisemblables comme la vengeance de Guy Orsoni à l’intérieur même de la prison d’Aiacciu.
Ces guerriers n’étaient pas que des hommes de main audacieux. Ils savaient aussi, comme Jo Peraldi le raconte précisément, structurer une organisation cloisonnée, monter des plans précis pour les coups audacieux, évaluer et encadrer d’autres clandestins, privilégier la sécurité et fabriquer et manier les explosifs. Toutes choses apprises dans l’armée française.
Ce flot de militants aguerris a été un apport qui a donné à la clandestinité corse la part centrale qui a été la sienne dans la construction du combat nationaliste corse. Le récit de Jo Peraldi a le mérite de retracer à travers son propre parcours cette composante historique du nationalisme corse, ces hommes d’action qui avaient été révoltés par le constat, à leur retour en Corse, d’une île abandonnée, sous-développée et sous le joug d’une classe politique inféodée à Paris. Leur savoir-faire militaire les a mis au cœur des réseaux clandestins. Clandestinité que Jo Peraldi a tenu durant trente ans, avant d’être condamné lourdement et de passer de nombreuses années en prison.
Aujourd’hui, il est toujours mobilisé pour l’autonomie de la Corse, autonomie qu’il a toujours poursuivie, même si la revendication indépendantiste a été l’objectif affiché du FLNC.
L’ancien soldat et responsable du FLNC nous fait partager son angoisse : que le processus de Beauvau n’échoue à son tour, vingt ans après celui de Matignon, quand Lionel Jospin, pourtant favori, a été exclu du second tour de l’élection présidentielle de 2002, battu par un certain Jean Marie Le Pen… grâce à la complicité objective de Jean Pierre Chevènement. •