L’appel d’offres pour la desserte aérienne de la Corse va couvrir la période de quatre années à compter du 1er janvier 2024. Soumis au droit de la concurrence par les directives européennes, ce marché a été divisé en dix lots distincts : quatre pour aller et venir à et de Paris depuis Aiacciu, Bastia, Figari et Calvi, deux pour aller et venir à Marseille d’Aiacciu et Bastia, deux autres allant vers Nice, tandis que les dessertes de Marseille et Nice forment un seul lot pour Figari comme pour Calvi. Toutes ces lignes sont actuellement opérées par Air Corsica, et cela depuis sa création, il y a plus de trente ans.
Sur les dix lots, au moins les deux premiers (Aiacciu et Bastia de et vers Paris) ont fait l’objet de réponses d’une autre compagnie qu’Air Corsica, à savoir la compagnie low cost espagnole Volotea. On ne sait à cette heure si leur offre est compétitive, mais une certaine inquiétude se manifeste. Ainsi Femu a Corsica a-t-il organisé des distributions de tracts dès la nouvelle connue pour apporter son soutien à Air Corsica et aux centaines d’emplois que la compagnie régionale a créés en Corse.
Face à la concurrence qui se manifeste, Air Corsica a un avantage matériel important : la compagnie est basée en Corse. En effet, le cahier des charges de la concession prévoit que l’amplitude entre premier et dernier vol soit maximum à Paris (11 heures), et moindre en Corse (7 heures). Cette disposition est logique : la continuité territoriale s’applique par définition aux Corses, et c’est à eux que l’on propose l’amplitude la plus forte entre l’arrivée du premier vol à Paris et le départ du dernier vol vers la Corse. En onze heures, nombreux sont les résidents qui peuvent aller et venir dans une même journée, ce qui les avantage.
Le corollaire de cette disposition est que l’aéronef qui les transporte, qui, comme chaque avion naviguant en Europe est soumis à une maintenance obligatoire chaque jour, ou plutôt chaque nuit car la journée est consacrée aux vols, doit procéder aux contrôles et révision entre 23 heures passées et 6 heures du matin. Air Corsica ayant ses bases techniques à Bastia et Aiacciu, l’avion est traité en Corse, tandis que pilotes et équipages dorment à leur domicile.
Pour une compagnie extérieure, l’absence d’infrastructures locales suppose donc que l’avion rejoigne une base technique après minuit, et soit revenu, le même ou un autre équivalent, sur l’aéroport corse avant six heures du matin, tandis que les personnels navigants doivent dormir dans des hébergements payants, ou bien être ramenés à leur base le soir, et revenir le matin très tôt. Ce sont bien sûr des coûts (heures de vol, heures supplémentaires des pilotes et navigants, frais d’aéroport, carburant, etc.) qui pèsent sur l’offre extérieure, et qui doivent permettre à l’offre corse d’être plus facilement compétitive.
Cependant, deux biais sont possibles qui peuvent tout fausser. Le premier concerne la compagnie corse si elle a quitté les clous d’une exploitation raisonnable, au point de laisser grandes ouvertes les portes à la concurrence. C’était le défaut évident de la compagnie maritime SNCM de la grande époque, au point d’être acculée à une faillite retentissante malgré les dispositifs de subvention multipliés pour la maintenir à flot, au point de justifier des amendes énormes dont la Collectivité de Corse a dû s’acquitter.
Le second biais, le plus à craindre me semble-t-il, est l’offre anormalement basse. Volotea a les reins solides et il sait pertinemment que l’éviction d’Air Corsica des lignes de Paris fragiliserait énormément l’assise économique de la société aéronautique insulaire. Et comme son principal actionnaire, la Collectivité de Corse, est loin d’avoir les reins aussi solides que les actionnaires de Volotea, des fonds d’investissement européens et américains et un institut de crédit de l’État espagnol, la réduction de l’activité de la compagnie corse au seul bord à bord conduirait probablement à des pertes, et, au bout du compte, à une disparition ou un rachat à vil prix par ceux-là même qui l’auraient mise en difficulté. Et, pour l’appel d’offres suivant, la Collectivité de Corse devra ensuite se préparer à une offre « anormalement haute » par laquelle Volotea se rattrapera largement des moins-values concédées pour prendre pied, lors d’un premier appel d’offres, sur la desserte de la Corse.
Mais cette pratique est connue et le droit de la concurrence la condamne tout autant que l’abus de position dominante par le concessionnaire sortant.
Sauf surprise, ce sont encore les experts et les avocats auprès des tribunaux qui pourraient être les grands gagnants dans les années à venir. •