Energia

Ne laissons pas passer le train de l’hydrogène vert !

L’Europe impose dès 2027 des infrastructures de distribution pour l’hydrogène sur tous les axes européens, Corse inclue, pour le transport routier, ferroviaire et pour les ports. Déjà deux vagues de financements nationaux européens sont passées, une nouvelle (et dernière ?) se présente en cette fin d’année, toujours plus compétitive. Il faut candidater d’urgence avec une vision ambitieuse, à la hauteur des enjeux !

 

 

L’hydrogène bas-carbone est l’une des solutions holistiques pour répondre aux défis de la transition énergétique, qui permet d’utiliser de l’énergie décarbonée pour décarboner de multiples usages finaux.

L’électrolyse de l’eau, un des procédés de production d’hydrogène vert, se présente comme une solution majeure pour l’intégration massive des énergies renouvelables car elle offre un moyen viable d’utiliser, stocker et transporter l’énergie intermittente produite sous forme d’hydrogène propre.

Quant aux usages finaux, l’hydrogène permet de décarboner les plus difficiles à électrifier comme l’industrie, le chauffage et la mobilité lourde, tout en améliorant la qualité de l’air.

 

Schéma de ce que pourrait être l’utilisation en Corse du train, lui-même à hydrogène, pour le distribuer sur ses lignes.

L’autonomie énergétique de la Corse n’a aucune chance d’advenir sans un projet systémique de stockage et de transport de l’énergie produite à partir des ENR pour soutenir le réseau électrique et ainsi compenser leur intermittence. Aujourd’hui, le réseau électrique ne peut absorber plus de 35 % d’ENR, mais pour la décarbonation nécessaire à l’horizon 2050 et l’autonomie stratégique visée par la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) à ce même horizon, ces ENR devront se développer massivement et urgemment. Tout le monde s’accorde désormais pour reconnaître que dans les zones non interconnectées comme la Corse, malgré un rendement théorique faible de l’ordre de 35 % qui aveugle souvent le jugement, l’hydrogène est la seule et unique solution dans bien des cas, en complément des batteries pour le court terme, et des STEPs, (stations de transfert d’énergie par pompage) mais exclusivement en usage stationnaire.

Nous avons fait avec MYRTE à Vignola la démonstration d’une production d’hydrogène décarbonée grâce au photovoltaïque il y a plus de 10 ans, en première mondiale. Nous avons ouvert la voie, comme souvent, parce que nous avons des chercheurs brillants, une Università de classe internationale, et, les grands acteurs internationaux, eux, sont déjà partis depuis des années sur les applications concrètes.

Il existe déjà ici quelques débuts de réalisations encourageants, mais encore modestes comme chez Corstyrène avec l’alimentation de ses chariots élévateurs, et dans un proche avenir de camions et du bateau du lycée maritime de Bastia. D’autres projets, locaux, émergent, par exemple sur l’aéroport de Bastia et pour les ports. Il serait dramatique de s’en satisfaire. Il faut à la Corse un projet ambitieux, global, systémique qui mette l’hydrogène au service de tous les usages, en remplacement systématique des procédés carbonés quelques soient les carburants fossiles ou plus ou moins bio promis depuis quelques temps. Les sociétés corse Corsica Sole, Corstyrène et HyFiT ont estimé les besoins pour la Corse à 30 t/jour environ à l’horizon 2028-30.

 

L’actualité de ses derniers mois accélèrent de façon extraordinaire la démonstration de la pertinence de cette technologie par les besoins (remplacement d’autres sources) et performances (comparaison des coûts devenus favorables). L’hydrogène vert, produit localement (5-6 €/kg, environ 9 €/kg livré) devient désormais compétitif face au gaz.

Le think-tank La Fabrique écologique a récemment publié une note sur l’hydrogène bas carbone, en tant qu’opportunité pour la France et pour l’Europe de l’énergie. Le rapport souligne que la stratégie nationale [française] suppose implicitement l’absence d’importations à l’horizon 2050 sans que cette hypothèse majeure soit étayée par une vision prospective des besoins en hydrogène décarboné, les estimant sous-évalués dans les quelques évaluations disponibles.

En conséquence, le think-tank appelle à définir en urgence « des scénarios plus précis pour déterminer les niveaux d’électricité et d’hydrogène à produire à cet horizon ». Le rapport plaide pour « bâtir une Europe de l’énergie qui passe nécessairement par une stratégie européenne intégrée de l’hydrogène, un marché unique et des infrastructures de transport et de stockage intégrées ». Et de préciser « qu’avec l’Allemagne, la France pourrait prendre le leadership de cette stratégie et ainsi créer un axe fort de collaboration avec la péninsule ibérique ». Enfin, la Fabrique écologique appelle la France à se doter d’une « diplomatie hydrogène ».

 

Grand projet d’hydrogène à Porto Torres de 200 MWe, soit plus de 10 fois le scénario haut de la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie) prévisionnelle de la Corse pour 2028.

Et la Corse, alors ?

Non interconnectée et richement dotée de sources naturelles d’énergies gratuites renouvelables, l’hydrogène y est stratégique. La CRE (Commission de régulation de l’énergie) ne s’y trompe pas en considérant la Corse comme un terrain d’expérimentation à grande échelle des situations que le continent rencontrera une dizaine d’années plus tard.

Les besoins en énergie de notre île avec tous nos efforts se stabilisent malgré l’accroissement de la population et des nouveaux usages grâce aux appels à la sobriété aux mesures de l’AUE et d’EDF (enfin !). Cependant, il faut être réaliste, même si nous devenions extrêmement vertueux, ce qui est hélas assez peu probable, les besoins de la Corse en électricité vont croître, notamment avec le basculement des usages d’hydrocarbures vers l’électricité : véhicules électriques, pompes à chaleur, économie numérique, connexion électrique à quai des navires obligatoire en 2030 (et avec incitations dès 2023)… Idéalement, voire même réglementairement désormais, ces besoins concernent de l’électricité verte, propre, décarbonée.

Nos amis sardes l’on compris avec un grand projet d’hydrogène à Porto Torres de 200 MWe, soit plus de 10 fois le scénario haut de la PPE prévisionnelle de la Corse pour 2028.

Bien sûr, nous pourrons aussi leur acheter de l’hydrogène pour nos besoins incontournables, ou l’importer de Marseille dont la raffinerie qui dessert actuellement la Corse a prévu un basculement à 50 % sur l’hydrogène. Ce scénario est d’ailleurs absolument certain si nous ne faisons rien à très court terme. Et ainsi laisser passer le train d’une production ici, en faisant une croix sur toute une filière d’avenir, et ainsi, poursuivre la paupérisation du peuple corse, laisser filer notre jeunesse diplômée pour bâtir ailleurs.

Par contre, si nous relevons ce challenge, ambitieux, en unissant nos forces complémentaires sur les plans techniques et financiers, avec détermination nous abordons un autre monde technologique et fraternel, fait d’ambitions et aussi de justice sociale. À partir de nos bases, nous pouvons importer la connaissance industrielle qui nous fait défaut, ce sont des centaines d’emplois dédiés, et des solutions additionnelles nombreuses possibles.

 

Un projet ambitieux qui nous oblige à sortir de notre zone de confort, à coopérer avec générosité pour partager les compétences, les additionner ; un véritable souffle peut ainsi être apporté à toute l’économie corse.

Et les moyens me direz-vous ?

Significatifs certes mais pas inaccessibles, quelques centaines de millions d’euros, un vrai gros budget, mais une goutte dans le budget national pour l’hydrogène de 9 milliards, voire européen qui dépasse les 50 milliards !

 

Que faut-il faire ?

Un tour de table des acteurs historiques, des appels à projets, rechercher des porteurs de projets qui ont une vision collective, le sens de l’intérêt général. Pour cela on peut s’appuyer par exemple sur la Charte d’énergie partagée. Les fonds existent, il faut aller les chercher, et vite !

Exemple pour notre train, au diesel à échappement libre, très, très polluant (CO2 et autres émissions, particules grasses, bruit) : malgré son gabarit très compact, il consomme 1,5 L/km, soit 50 % de plus qu’un TER classique.

Comme souligné par Jean-Baptiste Bartoli, le directeur des Chemins de fer de la Corse le 22 novembre dernier sur Via Stella, le prix du carburant (diesel non routier) a subi cette année une inflation de +57 %, grevant le coût de fonctionnement de millions d’Euros. Cette inflation s’ajoute à celle de l’année dernière, et n’est certainement pas la dernière. S’ajouteront aussi prochainement au diesel les taxes dont les CFC sont exemptés à ce jour, et la nouvelle taxe carbone. Le coût du carburant actuel sera malheureusement un obstacle de plus au développement fortement souhaité et souhaitable de l’activité ferroviaire sur l’île, en péri-urbain, en fret et sur la côte orientale. Le débat sera de toute façon prochainement arbitré au niveau européen, avec l’obligation de décarboner l’axe Aiacciu-Bastia à très court terme.

 

Comment sortir du diesel et décarboner ce train, très spécifique à la Corse, dans la mesure où l’investissement d’une caténaire permettant d’électrifier la voie est clairement irréaliste ?

En péri-urbain, l’opportunité de trains à batterie (meilleur rendement énergétique que via hydrogène) serait une opportunité économique (à condition de trouver des trains adhoc à coût raisonnable). Mais quid de leur recharge ? Une simulation rapide faite avec Vincent de-Rul, le directeur d’EDF SEI, montre que la recharge de 15 rames consommerait la même quantité d’électricité que les 70 000 voitures électriques prévues à la fin de la décennie.

Évidemment, concentrée le soir.

Totalement impossible. Sans oublier que notre électricité restera encore longtemps très carbonée, ce qui ne résout donc en rien le problème écologique, juste un report de quelques kilomètres, et en outre affiche un rendement énergétique déplorable. Seule solution : une recharge via des générateurs hydrogène, potentiellement communs avec les ports.

Pour la traversée Aiacciu-Bastia, la question ne se pose pas : il est inenvisageable d’utiliser des batteries. La quantité d’énergie nécessaire est trop importante, le temps de recharge serait considérable, générant une immobilisation de 2/3 du temps, et donc la nécessité de tripler le nombre de trains pour assurer le même trafic. Sans compter que les batteries n’aiment pas du tout le froid. Donc la solution s’impose : des trains à hydrogène. Bien sûr adapté à l’usage local, fort distinct de celui connu sur le continent, en France ou en Allemagne où roulent des dizaines de trains hydrogène depuis 2018. L’environnement corse se rapproche davantage de celui du « HyTrain », train d’altitude à voie étroite (encore plus que la nôtre) du Zillertalbahn dans le Tyrol autrichien.

En outre, le train peut jouer un rôle majeur sur l’écosystème hydrogène en Corse. Il peut également servir de moyen de transport particulièrement efficace : économique, sûr et flexible. Il revêt alors un rôle structurel (notamment d’équilibrage), au service des différents sites de production et des différents usages, en desservant les deux villes principales, les trois ports de commerce principaux et deux zones d’accès plus difficiles, le Centre corse et la Balagne.

 

Mobilisons-nous pour un projet systémique de l’hydrogène en Corse, ici, tout de suite en créant un Think tank dédié ! •

Georges Guironnet.