La desserte maritime de la Corse est un dossier complexe dont les enjeux sont extraordinairement importants. L’attribution de la concession pour les sept prochaines années lors de la session de décembre de l’Assemblée de Corse est une étape déterminante dans ce dossier dont les soubresauts ont émaillé la dernière décennie. Le travail du Conseil Exécutif pour s’extraire de ce passé empoisonné est à saluer. La nouvelle concession n’a jamais été aussi carrée, et l’argent public mieux utilisé, tout en préservant un statut social de bon niveau pour les salariés.
Il faut mesurer d’où l’on vient, d’un temps où le monopole conjugué d’une compagnie d’État et de l’omnipotence du port de Marseille avait créé les conditions d’un des plus grands scandales financiers dans le cadre des contentieux européens.
Compagnie d’État, l’ex-SNCM avait non seulement pris tous les travers des sociétés en situation de monopole, exaspérant régulièrement la Corse pour ses carences scandaleuses, elle était aussi habituée à recevoir l’argent public sans compter, et d’opposer à toute concurrence le « monopole de pavillon » que l’Europe a démantelé à compter des années 90. Ainsi il était interdit à la concurrence d’ouvrir des lignes entre la Corse et le continent français, et c’est le droit européen qui a imposé, au prix de plusieurs procédures, la ligne concurrente qui a été structurée depuis Toulon par la Corsica Ferries.
Le vieux monopole d’État s’est alors effondré, victime de ses multiples errements.
Pour échapper à une méga-amende de l’Europe, l’État a mené au tournant de l’an 2000 une privatisation tronquée, cherchant encore à mener le bal de la desserte de la Corse et de ses enjeux politiques, notamment dans la métropole portuaire de Marseille. Ainsi a-t-il été demandé à l’enveloppe de continuité territoriale, payée désormais par l’Assemblée de Corse mais encore pilotée en réalité par l’État, de gérer la continuation de la gabegie. D’où les aides multiples, attribuées contre tous les règlements européens conçus pour garantir les conditions d’une concurrence équitable, et, au bout du compte des condamnations très lourdes comme celle que la Collectivité de Corse a dû supporter récemment, l’Exécutif Simeoni payant pour des infractions commises par les Exécutifs Santini puis Giacobbi sur la période 2007-2013.
À compter de 2015 et la faillite définitive de la SNCM, la DSP maritime de la Corse a navigué à vue avec des contrats courts. Le premier en 2016 pour finir celui abandonné en cours de route par la défunte SNCM. Puis une prolongation courte pour cause de Covid qui ne laissait plus de visibilité sur l’économie de la desserte, et donc sur les engagements à prendre par la Collectivité de Corse pour en assurer l’équilibre. Le contrat qui s’achève le 31 décembre 2022 avait une durée de seulement 22 mois.
Pendant ce temps l’Exécutif a multiplié les réunions et les contacts avec le ministère des Transports et la Commission européenne. Cette dernière était échaudée par le passé délinquant au regard des règlements européens des acteurs de la desserte, État, Collectivité de Corse et compagnies attributaires confondues, qui n’avaient jamais accepté ses avertissements jusqu’à la condamnation finale survenue d’une amende de 85 millions d’euros infligée à la Collectivité de Corse dont l’État, enfin conscient de ses responsabilités, a accepté d’en prendre 50 % en charge en décembre 2021.
Chaque contrat intermédiaire a été l’occasion de rationaliser le dispositif. D’abord financièrement en resserrant le rapport entre l’argent versé et la prestation obtenue. Depuis 2015, l’enveloppe maritime est passée de 130 M€ avant 2015 à 92 M€ aujourd’hui, tandis que le coût demandé par remorque transportée a chuté considérablement, ce qui profite à l’économie corse, et ce qui baisse d’autant les recettes des compagnies qui ont donc dû, et su, s’adapter à ces nouvelles conditions économiques beaucoup plus raisonnables que celles qui avaient cours par le passé.
C’est dans cet esprit que le futur contrat a été conçu.
Il a été négocié pied à pied avec les compagnies dont les propositions initiales étaient beaucoup plus élevées. Entretemps les conditions économiques – coût du carburant, inflation, coût des nouveaux bateaux – ont elles aussi largement évolué, et il a fallu réajuster le montant financier. L’État a même accordé 33 M€ de subvention exceptionnelle 2023 pour faire face à la flambée des prix du carburant, tant pour l’aérien que pour le maritime.
La compensation annuelle passe ainsi de 92 M€ à 106,6 M€, étant entendu que les coûts annuels dépendront ensuite de l’évolution des postes qui ont été conjoncturellement très impactés par la guerre en Ukraine. Le montant final est 25 % moins élevé que la proposition initiale des compagnies avec qui les négociations ont été très serrées, en vue de la possible confrontation du marché passé avec un nouveau contentieux judiciaire devant l’Europe.
Qu’en sera-t-il alors ?
La Collectivité de Corse a multiplié les garde-fous, en incluant par exemple dans le contrat la nécessité de s’inscrire dans la moyenne des autres contrats européens de DSP passés pour desservir des îles. Jusque-là la Corse explosait toutes les comparaisons. Désormais elle est dans les clous, et les garanties contractuelles sont prises pour qu’elle y reste.
En conclusion de sa présentation faite avec Flora Mattei, présidente de l’Office des Transports, Gilles Simeoni a martelé devant la presse : « Le contrat est définitivement validé en droit interne. Nous avons obtenu un accord de principe de la Commission européenne et le soutien explicite de l’État qui considère que ce contrat est juridiquement inattaquable. »
À partir du 1er janvier 2023, le service public continue, l’emploi est maintenu et, pour une durée de huit années, la desserte maritime de la Corse trouve enfin une stabilité dans la durée à des conditions désormais compatibles avec les règlements européens, les autorités européennes ayant été régulièrement associées à la définition des dispositions prises pour financer ce service public indispensable à la Corse.
Cette stabilité étant enfin acquise, il sera temps désormais de réfléchir à la suite, et aux modalités de mise en place d’une compagnie régionale qui garantirait définitivement l’internalisation à l’économie de la Corse, en PIB comme en emplois, des retombées de cette activité économique naturellement très importante dans le contexte d’une économie insulaire. •