Par François Alfonsi
L’action menée par le collectif Pour Que Vivent Nos Langues mercredi 7 février à Paris a été bien réussie, grâce à l’enthousiasme communicatif de la quarantaine de lycéens qui avaient fait le déplacement. Lors de leur manifestation devant le ministère de l’Éducation nationale, puis lors de l’audition de six jeunes porte-parole par plusieurs députés et sénateurs de différentes appartenances politiques réunis par le groupe parlementaire d’études sur les Langues Minoritaires présidé par Paul Molac, les jeunes lycéens ont fait preuve de clarté et de détermination. La République jacobine n’en a pas fini avec les langues régionales !
Ce coup de jeune donné aux combats pour nos identités menacées par l’uniformisation de la France sous l’effet d’une Constitution linguicide a été ressenti par les radars politiques de nombreux députés. Tous les députés et sénatrice ayant un lien avec la Pays Basque étaient là, socialistes et macronistes. De Bretagne aussi l’arc politique était complet : les Républicains, les macronistes, les socialistes et bien sûr les autonomistes Paul Molac et Lydie Massard, député européenne. Avec Jean Félix Acquaviva nous avons représenté la Corse et plusieurs élus sont venus d’Alsace et de différents lieux d’Occitanie.
Cette mobilisation l’a montré : la cause des langues régionales continue de résonner dans les couloirs de l’Assemblée nationale et du Sénat, parmi les élus des territoires concernés. Ces élus sont venus en soutien à tous ceux qui, sur le terrain, par milliers, enseignants, élèves et parents d’élèves, associations et bénévoles, portent à bout de bras des écoles immersives, des centres de formation, des lieux vivants de transmission de la langue, des centres culturels, etc. Ils connaissent l’impact de ces mouvements dans leurs circonscriptions !
La Corse est désormais représentée de plein pied dans ce combat collectif, depuis que Scola Corsa a réussi à se structurer. Aujourd’hui dans quatre sites (Bastia, Biguglia, Sàrrola-Carcupinu et Corti) et sept classes, une centaine d’enfants sont scolarisés sur les trois niveaux de maternelle et le CP. Les inscriptions affluent là où l’offre existe, et ce recrutement doit beaucoup aux résultats enregistrés dans l’immersif associatif, bien plus efficace que « l’immersif » public, qui est en fait peu comparable.
Dans les écoles Scola Corsa, durant la journée scolaire, les enfants ont non seulement 100 % d’exposition à la langue corse durant la classe, mais aussi durant tout le temps périscolaire, les garderies du matin et du soir, dans la cour de récréation, y compris quand on les accompagne lors des repas ou pour aller aux WC. Ces « temps du quotidien » sont essentiels pour que l’enfant s’approprie la langue non seulement comme une langue enseignée, mais aussi comme une langue de la vie courante. Dans la cour de récréation, après quelques mois, les enfants parlent corse entre eux. C’est alors que l’objectif est atteint !
« L’immersion » selon l’Éducation nationale limite l’exposition à la langue corse à 70 % du temps scolaire. Il ne faut pas refuser cette offre que le rectorat veut développer aujourd’hui sous l’aiguillon du développement de Scola Corsa. C’est toujours ça de pris ! Mais il ne faut pas laisser propager l’idée que cette offre pédagogique serait de même nature que celle de Scola Corsa.
Certaines enseignantes de Scola Corsa sont issues de l’Éducation nationale et enseignaient auparavant dans ce type de classe. Elles sont formelles : arrivé aux vacances de Toussaint, après un demi-trimestre, l’enfant « Scola Corsa » a déjà atteint le niveau qu’elles n’obtenaient qu’en fin d’année dans l’immersif public. Et, de toute façon, l’école publique limite cette offre à la maternelle quand Scola Corsa peut la développer jusqu’au baccalauréat. En fait, seule la filière immersive complète de Scola Corsa apporte à l’enfant une pratique de la langue naturelle, avec les autres enfants, avec ses parents, et pas seulement à travers un exercice scolaire limité aux échanges avec les enseignants.
Le rythme de développement voulu par Scola Corsa est celui d’une ouverture d’un site nouveau par an, en même temps que la progression année après année du cursus scolaire dans chaque site ouvert. À ce rythme, pourtant soutenu, il faudra huit à dix ans pour rattraper le niveau de scolarisation atteint par Seaska au Pays Basque, 15 % environ des enfants scolarisés, 4.500 élèves pour une population scolaire semblable à la nôtre. À ce niveau, qui reste encore limité, un premier objectif politique sera atteint : un vivier de jeunes bacheliers véritablement corsophones, pouvant faire en sorte que la langue corse existe encore dans la sphère publique corse dans une décennie, avec des locuteurs jeunes suffisamment nombreux et compétents, notamment pour s’engager dans les emplois indispensables à la survie de la langue : médias, enseignement, sphère culturelle, etc.
Le chemin est difficile, surtout dans le contexte juridique français, mais d’autres l’ont emprunté avec succès avant nous, alors qu’ils ne disposaient pas de l’appui d’une Collectivité territoriale entièrement acquise à ce projet, et pour qui l’autonomie actuellement en débat doit s’accompagner d’un projet ambitieux pour la langue. Il ne faut surtout pas se limiter aux effets d’annonces du recteur, relayés par le Premier ministre et le Président de la République, autour d’une « immersion » limitée, qui, si elle est seule en place, sera bien loin de remplir les objectifs minimaux nécessaires pour assurer l’avenir de la langue corse sur sa terre.
Attention à ne pas céder aux sirènes de l’Éducation nationale ! •