La partie qui s’engage entre, d’un côté, l’État, son gouvernement sortant, puis celui qui sortira des urnes des élections présidentielle et législatives à venir, et d’un autre côté la Corse, sa représentation politique, sa jeunesse en lutte et ses forces vives, peut s’assimiler à une partie d’échecs. Il faudra du temps, et du répondant, pour espérer la gagner !
La stratégie de l’étouffement du nationalisme corse était appliquée par l’État depuis cinq ans, selon une feuille de route définie par Emmanuel Macron lui-même dès son voyage en Corse du 6 février 2018. Elle a été contrée par la vitalité des forces politiques nationalistes qui, élection après élection, ont réussi une progression constante, jusqu’à la victoire électorale de juin 2021. Dès lors, la contradiction a atteint son paroxysme entre une demande démocratique toujours plus forte côté Corse, et une volonté de ne rien lâcher de l’État, dossier après dossier, ni sur le rapprochement des prisonniers politiques, ni sur l’enseignement par immersion, ni sur la lutte contre la spéculation foncière, sans compter la guérilla préfectorale contre l’Exécutif menée sans cesse et jusqu’au bout.
De cette confrontation est née une montée des tensions jusqu’à l’explosion qui est survenue après l’odieuse agression meurtrière contre Yvan Colonna. Les manifestations de Corti, puis de Bastia, ont été des manifestations de rupture, dont les débordements ont été assumés non seulement par leurs auteurs, mais aussi par la foule qui est restée massivement auprès d’eux. Plus encore que les cocktails molotov et les projectiles lancés, les images de la foule accompagnant et protégeant les assaillants ont certainement fait réfléchir au sommet de l’État, jusqu’à décider d’infléchir sa politique. C’est dans ce contexte que Gérald Darmanin a été désigné, et qu’il a mené son déplacement en Corse.
Qu’allait-il sortir de ce déplacement ministériel qui, pour une fois, était radicalement différent des visites convenues de ministres en goguette ? Des engagements réels, c’est-à-dire écrits, ou de simples déclarations ? Il fallait bien sûr acter des engagements écrits pour être en meilleure position pour la suite de la partie.
C’est ce qu’a fait Gilles Simeoni en signant avec le ministre un « compte-rendu des réunions » avant que celui-ci ne reparte de Corse, après trois jours passés sur place. Les revendications de l’heure y figurent, notamment « l’engagement à ce que la vérité soit faite sur les circonstances de l’assassinat d’Yvan Colonna », et « un prompt rapprochement dans les prochaines semaines vers le centre de Borgo » pour Pierre Alessandri et Alain Ferrandi.
Ce « compte rendu » acte aussi « un processus de dialogue » en vue de la mise en œuvre « d’une réponse politique globale », dialogue qui débutera « à Paris dès la première semaine du mois d’avril par un premier cycle de réunions ». Il définit le « périmètre » de ces réunions, incluant « l’évolution institutionnelle vers un statut d’autonomie qui reste à préciser (…) à la lumière des statuts existants dans la Constitution, en Méditerranée ou le long de l’Arc atlantique, voire de propositions sui generis ».
Voilà pour le texte réellement commun. Deux autres volets sont mentionnés comme émanant de la volonté non partagée des deux parties. Côté Corse, il est indiqué « une volonté d’une évolution concrète concernant la langue, la culture et la reconnaissance du peuple corse ». Côté État, il est « réaffirmé deux principes intangibles : la Corse dans la République et le refus de créer deux catégories de citoyens ».
Face à ce processus écrit, et à la responsabilité à prendre pour en permettre le déroulement ultérieur, Gilles Simeoni a été seul à signer le texte final. Notamment les groupes nationalistes d’opposition, PNC, Core in Fronte et Corsica Lìbera, ont refusé de le faire. Il y a une part de logique politique dans cette attitude, car l’électorat nationaliste a sa part de « radicaux » pour qui la négociation d’un compromis est par définition contre-nature. Il y a aussi sans nul doute une bonne part de calcul politique de la part de certains mouvements décidés à contredire la prééminence de Femu a Corsica telle qu’elle est sortie des urnes en juin dernier.
Qu’ont-ils d’autre à proposer pour que la Corse aille à nouveau de l’avant dans la longue marche historique entamée depuis les années 70 ? On se souvient que la stratégie de la surenchère avait déjà été appliquée en son temps contre Edmond Simeoni, décidé à jouer l’avancée historique du premier statut particulier de la Corse, quand d’autres dénonçaient « a tràppula » lors des élections de 1982. Depuis, l’Histoire a tranché.
Dans ce contexte de fronde interne, la majorité absolue de l’Assemblée de Corse gagnée dans la clarté par Gilles Simeoni en juin 2021 sera sans conteste une pièce maîtresse pour la suite de cette partie, difficile et historique, entre l’État et la Corse ! •