par François Alfonsi
En venant devant la représentation de la Corse réunie une troisième fois place Beauvau par le ministre de l’Intérieur, Emmanuel Macron a pris l’engagement essentiel, celui d’inscrire la Corse dans son projet de révision constitutionnelle annoncé pour 2024. Mais il a en même temps réaffirmé ses « lignes rouges » et balisé les limites du projet qu’il entend soutenir.
Première ligne rouge : le maintien de la Corse dans la République. Pas de surprise ni de problème dès l’instant que tous ceux qui sont autour de la table sont d’accord pour un projet d’autonomie avec révision de la Constitution française. Être dans la Constitution, c’est être dans la République.
Deuxième ligne rouge : le refus de créer deux catégories de citoyens. Dans le principe encore, pas de problème concernant les individus et leurs droits. Mais le peuple corse sera-t-il admis, comme personne collective, dans sa définition de 1988 adoptée par l’Assemblée de Corse (« Corses d’origine et Corses d’adoption »), ou sera-t-il proscrit comme c’est le cas dans l’actuelle Constitution ? Au-delà de la reconnaissance du peuple corse, plusieurs considérations pratiques sont questionnées par cette position préalable. Notamment, le statut de résident : sera-t-il possible, et selon quelles modalités ? Et la coofficialité de la langue corse ?
Troisième cadre fixé par le Président de la République : la mise à parité du futur statut de la Corse avec celui des autres îles méditerranéennes. De quelle « parité » s’agit-il connaissant les statuts des îles Baléares en Espagne et de la Sardaigne et de la Sicile en Italie ?
Les îles Baléares s’inscrivent dans la Constitution espagnole dont l’article 2 énonce deux principes : « unité indissociable de la Nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols » et aussi « droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui (la) composent, et la solidarité entre elles ».
De même, l’article 5 de la Constitution italienne énonce « l’unité et l’indivisibilité de la République italienne », et il « reconnait et favorise les autonomies locales ». Sardaigne et Sicile bénéficient du statut de « régions à autonomie spéciale » (avec la Vallée d’Aoste, le Frioul-Vénétie Julienne et le Sudtirol). La révision de leurs statuts est possible sur proposition de la communauté autonome et par décision conforme du Parlement.
En Espagne comme en Italie, les autonomies sarde, sicilienne et des îles Baléares bénéficient d’un pouvoir législatif dans un cadre de compétences définies précisément. Ainsi 51 compétences exclusives sont listées par le statut des Baléares, les autres revenant à l’État. La logique inverse est adoptée en Italie qui liste les compétences exclusives de l’État, pour l’essentiel les domaines régaliens (politique étrangère, ordre public, finances, justice, sécurité sociale, etc.), ou celles partagées avec la région selon le principe de législation concurrente qui prévoit que l’État établit des principes généraux qui sont ensuite détaillés par des lois régionales. Leurs statuts disposent que tout le reste – ce qui n’est pas répertorié – est compétence de l’autonomie régionale.
Parmi les pouvoirs des autorités autonomes, on peut citer en Sicile et en Sardaigne, le pouvoir d’organisation territoriale. Ainsi la Sardaigne disposait de trois provinces au départ (1974 – Càgliari, Nuoro et Sàssari), puis huit à partir de 2005, désormais cinq depuis 2016. Les autorités autonomes sardes et siciliennes ont ainsi compétence exclusive concernant les intercommunalités.
La difficulté des futures discussions sera de passer des aspects techniques, abondamment documentés dans les statuts des îles voisines, aux aspects politiques les plus délicats.
La reconnaissance du peuple corse, un statut de résident et la politique linguistique seront les trois points clés des discussions à venir. Les agilités qui seront imaginées par les négociateurs ne permettront d’arriver à des compromis qu’à condition de faire bouger les lignes de la constitution elle-même sur ces points. On a vu, avec la récente censure de la loi Molac sur l’enseignement immersif des langues régionales, censure fortement critiquée par le Président de la République lui-même, que de telles évolutions sont souhaitées ailleurs qu’en Corse pour la langue. La mobilisation de ceux qui veulent « vivre et travailler au pays » contre l’envolée spéculative des prix de l’immobilier ne laisse pas la Corse isolée dans sa quête de nouveaux équilibres économiques en faveur des résidents, notamment pour l’accès au logement.
Enfin la reconnaissance du peuple corse est le cœur même de la revendication surgie il y a un demi-siècle. Le « processus de Beauvau », pour être une réponse de long terme, devra pouvoir l’aborder sans tabou. •