par François Alfonsi
Quand on s’engage dans une œuvre aussi importante, on le fait souvent après un voyage d’études. Ainsi en est-il de Scola Corsa qui est la « version corse » des écoles immersives, lancée en Corse après avoir constaté, de visu, la réalité et la réussite du modèle basque de ses homologues Seaska du réseau Eskolim.
La première fois que, grâce aux moyens du Parlement européen, j’ai pu organiser un voyage d’études autour de l’expérience Seaska d’enseignement du basque par immersion, j’étais accompagné de militants culturels et politiques, conseillers municipaux et adjoints de Bastia et Biguglia, les deux premières mairies volontaires, ainsi que des futurs cadres de l’association, à commencer par son président Ghjiseppu Turchini. C’est dans la foulée de ce premier voyage qu’un groupe et un projet sont nés, ce qui a conduit à l’ouverture des deux premiers sites de Bastia-Toga et de Biguglia avec leurs deux premières maternelles immersives regroupant premier et deuxième niveau à la rentrée de septembre 2021.
Rentrée 2022 : les deux premiers sites ont ouvert leurs deuxièmes classes, un troisième site a été créé à Sàrrula Carcupinu en région ajaccienne, et, dans le même élan, il a été procédé à la mise en place par l’AFPA de Corti d’une formation dédiée aux futurs enseignants, maîtresses et assistantes maternelles. Ceux-là ont pu se rendre à Béziers pour s’inspirer du modèle de formation des maîtres mis en place par les Occitans pour leur Calendreta.
Rentrée 2023 : un quatrième site est prévu à Corti. Parents et enseignants sont d’ores et déjà en place. Et, étape cruciale, un premier CP va ouvrir à Bastia où les enfants qui ont commencé leur scolarité en 2021 en deuxième niveau de maternelle vont découvrir l’apprentissage de la lecture et de l’écriture directement en langue corse.
Voilà pour le bilan à la fin cette deuxième année scolaire ; il est déjà consistant.
L’objectif du nouveau voyage d’études mené au Pays basque cette année a été, pour les maîtresses de s’imprégner de l’expérience pédagogique qui a été réussie là-bas, et pour les cadres de l’association, de prendre la mesure d’une machine économique magnifiquement rodée autour de l’engagement des parents d’élèves.
Notre participation à Herri Urrats, la grande fête annuelle des Ikastolas, le dimanche 14 mai à Saint Pée sur Nivelle, a recueilli l’exemple d’une mobilisation qui rassemble 2.500 bénévoles parfaitement structurés, et accueille 30.000 participants bien que cette édition 2023 ait été très contrariée par la pluie. En année faste, ce sont 50.000 participants qui se pressent sur les rives du lac où plusieurs sites proposent des stands, de la nourriture et de la boisson, et une scène musicale ouverte aux artistes basques les plus en vogue. Pour nous autres c’est une révélation de voir ces milliers d’adolescents venus en bande et parlant basque entre eux. Ils seront les cadres qui assureront la présence de la langue basque demain, dans les écoles, dans les médias et dans la vie quotidienne.
La rentrée 2023 en Corse devra réussir plusieurs challenges. Conforter la structure administrative de l’association qui gère les différents sites ; contractualiser avec la Collectivité de Corse à un niveau suffisant pour garantir le développement du réseau, horizontalement en accueillant plus d’élèves dans chaque école et en ouvrant de nouveaux sites, comme verticalement en ouvrant de nouvelles classes de niveau au fur et à mesure que les enfants grandissent dans leur scolarité, enseignement primaire, puis collège et enfin lycée. Mettre sur pied l’équivalent corse d’Herri Urrats ; arracher au plus vite la contractualisation des enseignants avec l’Éducation nationale comme cela est fait pour toutes les composantes d’Eskolim, sont deux autres objectifs essentiels.
La situation désormais très précaire de la transmission de la langue corse demande une réponse politique ambitieuse. Le Pays basque compte une population équivalente à celle de la Corse, ce qui permet de quantifier plus aisément les objectifs à atteindre. Trente-quatre sites primaires ont ouvert depuis la création de Seaska ; nous en serons à quatre cette rentrée. Il nous faudra rapidement dédoubler Aiacciu et Bastia, ouvrir en Balagne, en Plaine, dans l’Extrême-Sud, le Nebbiu et le Sartenais, etc. Actuellement Seaska scolarise plus de 3.000 enfants en maternelle et primaire, un millier en collège (quatre collèges ouverts, un cinquième en construction) et près de cinq cents en lycée. Il y a urgence à se hisser au même niveau, au plus en une décennie. Car l’érosion de la langue s’accélère brutalement désormais. Le système scolaire public ne permet de créer aucun corsophone ; tout juste permet-il à la transmission familiale qui subsiste encore d’être confortée et d’ajouter les apprentissages en écriture. C’est dans ce vivier déjà restreint que sont recrutés les jeunes enseignantes qui commencent avec Scola Corsa leur carrière d’enseignante en immersion. Qu’en serait-il dans vingt ans si Scola Corsa ne réussissait pas à relancer une génération spontanément corsophone grâce à l’apprentissage qu’elle aura reçue grâce à l’immersion ?
Scola Corsa représente en fait le véritable espoir pour l’avenir de la langue corse. •