Par François Alfonsi
Alors que le processus de Beauvau a repris son cours in extremis, dans un paysage politique français plus incertain que jamais, le mouvement nationaliste ne risque-t-il pas de perdre son crédit dans des positionnements excessifs ? Le chemin suivi depuis mars 2022 n’est pas arrivé à son terme, et il faudra encore beaucoup d’efforts et de cohésion pour que la réforme constitutionnelle, acceptée par les accords de Beauvau signés entre l’Assemblée de Corse et l’État, débouche favorablement par la tenue d’un Congrès rassemblant Assemblée nationale et Sénat à l’automne 2025. Le contexte politique est difficile. Faut-il pour autant s’engager dans une fuite en avant ?
La motion déposée à l’Assemblée de Corse par l’élue de Nazione, Josepha Giacometti, pour « l’inscription de la Corse sur la liste des territoires non autonomes à décoloniser », et demandant « d’entamer toutes les démarches nécessaires auprès du Secrétaire Général des Nations Unies » à cet effet, est symptomatique.
Nazione participe au Groupe Initiative Bakou, ainsi que plusieurs mouvements de Nouvelle Calédonie, de Polynésie ou des Antilles. Ce Groupe Initiative Bakou a été mis en place par le régime azerbaïdjanais et a tenu en juillet dernier un Congrès des colonies françaises, à Bakou même, au nom du droit à l’autodétermination et du respect du droit international.
Il est singulier de revendiquer le droit à l’autodétermination sous le parrainage d’un pays comme l’Azerbaïdjan, classé comme une dictature, et qui vient de nettoyer ethniquement un territoire entier, jusque-là, et depuis la nuit des temps, peuplé d’Arméniens. Après une guerre délibérément meurtrière contre les populations civiles, le Haut Karabakh a été vidé de ses 120.000 habitants.
L’Azerbaïdjan occupe par ailleurs militairement des pans entiers du territoire arménien, et la France fait partie des rares États, avec l’Inde, qui apportent un soutien militaire à l’Arménie, ce qui exaspère au plus haut point Ilham Aliev, le dictateur de Bakou. D’où son engouement pour soutenir les causes de libération nationale dans les territoires colonisés de la République française.
Introduire cette démarche au contexte plus que discutable dans l’Assemblée de Corse pour qu’elle la soutienne participe manifestement à une tentation de fuite en avant. Après le vote négatif de l’Assemblée de Corse, l’affaire en est restée là, mais un vote positif aurait certainement contribué à déstabiliser le processus en cours.
L’autre risque de surenchère s’exprime dans la véhémence des attaques portées contre Gilles Simeoni et son Exécutif. Les élections régionales sont pourtant loin, en 2028, trois ans encore durant lesquelles la stabilité du président du Conseil exécutif, garantie par la majorité absolue dont il dispose au sein de l’Assemblée de Corse, est un atout indéniable pour la partie corse de la négociation en cours. Certes, ce choix d’une majorité absolue homogène, dictée par le réalisme politique au vu du déroulement des mandatures précédentes en coalition instable avec le PNC et Nazione, a provoqué l’ire de ces deux formations. Mais de là à verser dans la caricature, il y a un fossé régulièrement franchi lors des prises de position des principaux responsables.
Ainsi, dans une récente interview, parue dans Le Petit Bastiais, Jean Christophe Angelini, le leader du PNC, reproche à l’Exécutif, « faute de travail », de ne pas avoir mené à bien « le port de la Carbonite, la déviation de Sainte Lucie, la déviation d’Ulmetu, le barrage du Cavu, un autre barrage en Haute-Corse, le ferroviaire vers l’extrême-Sud, la 2×2 voies Bastia-Bonifaziu, la continuité territoriale européenne ». Il a certainement oublié le tunnel de Vizzavona dans son énumération à plusieurs dizaines de milliards d’euros ! Il enchaîne en évoquant « une logique sectaire aujourd’hui à l’œuvre », un dossier ports et aéroports « géré de façon pitoyable » et un Exécutif « qui a gâché la Collectivité Unique et qui demain finirait par nous anéantir économiquement ». Fermez le ban !
Tout ça en « s’inscrivant dans une volonté de construire une alternative » dont il est clair, au fil des déclarations des uns et des autres, qu’elle consiste à s’allier avec la droite dans la future élection territoriale. Une droite qui va de Laurent Marcangeli, rallié au processus de Beauvau, jusqu’à François-Xavier Ceccoli, opposant déclaré à l’autonomie de la Corse.
Manifestement le projet électoral immédiat est en train de prendre le pas sur le projet politique de long terme pour l’autonomie de la Corse. •