Mafia(s) en Corse

Le choix d’en finir

par François Alfonsi
La société corse traîne sa réalité mafieuse comme un boulet depuis des décennies, particulièrement depuis la décision délibérée de l’État à la fin des années soixante-dix de traquer les nationalistes en priorité. Comme les juges de la JIRS l’expriment à leur tour dans leur dernier rapport, la lutte contre la violence de droit commun en Corse a « longtemps été délaissée par les autorités au profit du terrorisme ». Il faut désormais rattraper le temps perdu.

 

Le rapport de la JIRS de Marseille a fuité dans le quotidien Le Monde, sous la plume de Jacques Follorou journaliste habitué (habilité ?) des sources judiciaires. Cette publication a donc une intention politique manifeste, celle d’appuyer la démarche des juges de Marseille vers qui convergent depuis dix ans l’essentiel des affaires corses liées au grand banditisme.

La revendication des magistrats de la JIRS est de créer un « pôle anti-mafia », car ils jugent leur structure actuelle trop limitée. Ils argumentent à partir des 150 dossiers criminels arrivés devant eux en dix ans, qui les amènent à conclure que « le banditisme corse revêt toutes les formes du phénomène mafieux ». 

Disposer de cette analyse est fondamental pour tous ceux qui sont amenés à débattre de ce phénomène, à commencer par l’Assemblée de Corse qui s’est engagée à tenir une session spéciale à cet effet. Aussi, la Présidente de l’Assemblée de Corse et le Président du Conseil Exécutif ont-ils aussitôt réagi par un communiqué en demandant « au gouvernement de communiquer aux institutions de la Corse et aux citoyens de l’île les éléments objectifs en sa possession concernant la réalité et l’ampleur de ce que le rapport de la JIRS qualifie de “système mafieux en Corse” ».

Car la « fuite organisée » de la JIRS révèle, selon le journaliste, « l’interpénétration du banditisme, de l’économie et du politique », mais sans rien n’en dire de circonstancié. Seule la connaissance du rapport complet permettra d’aller au-devant de l’attente de tous ceux qui « au-delà de la majorité territoriale, l’ensemble de la représentation élue de la Corse, tout comme les forces politiques non représentées au sein de l’Assemblée de Corse, se sont prononcés pour faire de la lutte contre les dérives mafieuses ou pré-mafieuses une priorité » (extrait communiqué de la Collectivité de Corse).

 

Ces derniers mois, l’immobilisme traditionnel sur le dossier du banditisme a été il est vrai quelque peu bousculé. Certains « gros calibres » du milieu corse ont été incarcérés, après, pour certains d’entre eux, des mois de recherche ; d’autres courent encore, mais ils sont visiblement largement précarisés par les poursuites judiciaires.

Pour autant, l’accumulation des dossiers non résolus reste la caractéristique « numéro un » de la situation criminelle insulaire. Ils sont la quasi-totalité des 150 meurtres dont la JIRS de Marseille a été saisie ces dix dernières années.

Pour en finir avec cette impuissance, suffira-t-il de franchir un nouveau cap répressif ? Les juges le pensent en préconisant des cours d’assises spéciales, la modification du statut de repenti, le renforcement de leurs moyens, etc. Le modèle italien est souvent cité en exemple pour son action en Sicile.

Mais il est une certitude partagée par tous en Corse : l’efficacité de toute lutte contre le crime organisé passe par la sensibilisation des populations et par leur implication pour le combattre. Tel est le message constant des associations, Maffià Nò comme le Collectif Màssimu Susini. Toutes les deux ont aussitôt exprimé leur soutien aux demandes des juges. Et leur irruption dans le débat public depuis trois ans a largement contribué à la mise en cause d’un système judiciaire et policier jusqu’ici notoirement impuissant.

Nous sommes arrivés à un point de bascule ; le choix d’en finir sera largement soutenu désormais. •