Par François Alfonsi
La vie politique en Corse est contrastée, comme la vie tout court. À quandu colla, à quandu fala, dice u pruverbiu. Mais elle a aussi des fondamentaux qui nous rassemblent inévitablement dans un même camp, celui du peuple corse ou celui de l’État.
Chaque camp en politique ne peut ignorer les rivalités qui en font le jeu démocratique. Aussi la tentation est naturelle et toujours présente de vouloir affaiblir ses rivaux. Mais elle ne doit pas aller jusqu’à prendre le risque d’affaiblir son camp tout entier.
Si l’on commence à vouloir jouer « à qui perd gagne », ce jeu malsain où chaque difficulté du rival est considérée comme une victoire, c’est le camp tout entier qui peut finir perdant !
Car le camp nationaliste est aujourd’hui face à de sérieuses difficultés à surmonter.
Après avoir dominé la scène politique depuis 2014, durant une décennie, c’est-à-dire déjà une éternité en politique, il est confronté à un premier revers électoral en deux temps. Il y a d’abord eu les européennes où il n’a pas été en mesure de dégager une option politique gagnante comme cela avait été le cas avec les Écologistes il y a cinq ans, ce qui a ouvert un peu plus le terrain électoral au profit du vote protestataire en faveur du Rassemblement national. Et, dans la foulée, la dissolution de l’Assemblée nationale ayant entraîné de nouvelles élections législatives, celles-ci ont enregistré la perte du siège de la deuxième circonscription de Haute-Corse au profit de la Droite républicaine « dure », celle qui est hostile à l’autonomie et qui est le relais direct des adversaires du processus de Beauvau à Paris. Ainsi François-Xavier Ceccoli est devenu député grâce au renfort des voix d’un Rassemblement national plus fort que jamais.
Le vote protestataire Rassemblement national a plusieurs ressorts. En Corse on ne peut ignorer une part de contenu « anti-nationaliste » que l’on repère à la hausse surprise de la participation de ceux qui se tenaient jusque-là en retrait des élections insulaires, et à des scores imposants dans certaines zones et quartiers.
L’autre ressort est le mécontentement de nombreux Corses, qui alimente un ressentiment à tout niveau, municipal, territorial et parisien. Voter contre, contre le maire, contre l’Exécutif de la CdC ou contre Macron, tout se mélange et se cumule dans le vote en faveur de candidats inconnus qui ont bénéficié d’un vote de protestation généralisé.
Il faut bien sûr entendre cette expression du mécontentement, en faire l’analyse et en tirer les conséquences. L’Exécutif de la Collectivité de Corse doit en prendre sa juste part, et procéder aux rectifications nécessaires. Mais il faut faire aussi la part des causes extérieures. Que peut l’Exécutif d’une Collectivité qui n’en a pas les compétences pour réduire le coût de la vie ? Comment donner à la Corse des moyens budgétaires alors que nous sommes entièrement dépendants de l’État faute d’autonomie fiscale ? C’est le rôle du débat politique d’éclairer les responsabilités et, quand les temps sont confus, il y a une réelle inconscience à proférer des reproches sans nuance comme l’a fait le PNC lors de sa conférence de presse de rentrée.
Les difficultés budgétaires de la Collectivité de Corse ont des origines bien définies. Les ressources propres obtenues à l’origine du statut particulier et lors des réformes qui ont suivies sont sur une tendance négative. Les droits sur les tabacs sont à la baisse au fur et à mesure que la consommation de cigarettes diminue, et que le différentiel fiscal est progressivement supprimé entre la Corse et le continent qui motivait de nombreux achats par les touristes quittant l’île. Autre ressource menacée : celle qui attribue à la CdC une part de la taxe sur les carburants dont le montant dépend d’une fréquentation touristique qui en 2023 a été plus basse, et de la progression du parc des véhicules électriques qui ne consomment aucun carburant et donc ne rapportent rien à la fiscalité de la Corse, tendance qui ne peut qu’aller crescendo ces prochaines années. Autre raison structurelle, le gel depuis quinze ans de la dotation de continuité territoriale par l’État ce qui conduit, après tant d’années, à une division par deux de sa valeur. Atténué par des dotations exceptionnelles accordées en 2022 et 2023, ce passif pour 2024 est conditionné au vote du futur « budget Barnier » dont chacun sait qu’il sera très serré et très contraint par de nombreuses coupes budgétaires. Obtenir cette rallonge est essentiel et ne pourra pas être favorisé par des mises en cause féroces de l’Exécutif.
De l’autre côté les dépenses incompressibles sont en pleine croissance, notamment les dépenses liées aux allocations sociales dont l’État se décharge de plus en plus sur les collectivités sans apporter la contrepartie correspondante.
Face à de tels problèmes, l’Exécutif doit une transparence totale qui éclaire l’opinion et les acteurs de la société corse qui attendent des financements de la Collectivité de Corse. Et ceux qui ont pour vocation de crédibiliser un projet nationaliste pour la Corse doivent éviter de semer le trouble et la confusion. •