par François Alfonsi
Dans tout processus de négociation il est une réalité incontournable : l’issue en sera un compromis, et ce compromis divisera mécaniquement l’opinion nationaliste corse, entre ceux qui diront « on a quand même avancé », et ceux qui diront leur déception d’être resté bien en-deçà de leurs espoirs. Et avant que cette issue n’intervienne, tout au long de la négociation, cette même ligne de partage va se manifester régulièrement, à chaque difficulté rencontrée : faut-il rompre ? Faut-il continuer quand même ? Stop ou encore ?
Ainsi, le processus en cours a-t-il marqué le coup après la déception provoquée par la décision de la Cour d’Appel de Paris qui a désavoué celle prise en première instance par les juges pour une libération conditionnelle de Pierre Alessandri. Cette décision a jeté le trouble et mis en lumière une réalité bien présente, et qui le restera tout au long du processus : au sein de l’État, la pente naturelle n’est pas au dialogue avec la Corse !
Faut-il pour autant quitter la table de négociation, comme cela a été demandé avec fougue par un collectif d’organisations de la jeunesse qui s’étaient mobilisées au mois de mars dernier ? Les composantes de la délégation corse du Comité Stratégique mis en place avec Gérald Darmanin en ont débattu, et ils ont décidé à la quasi-unanimité – à la seule exception de Josepha Giacometti – d’adresser un sévère avertissement au gouvernement, mais de ne pas quitter la table de discussion. La conclusion de leur communiqué : « La délégation de la Corse aspire à poursuivre le processus de dialogue dans des conditions apaisées et demande donc, solennellement, une parole politique au plus haut niveau du Gouvernement et de l’État, de façon à recréer les conditions de la reprise du processus en cours ».
À ce jour, on en est là. Gérald Darmanin a reporté un voyage officiel et le cycle de réunions à suivre est suspendu à un message de l’État sur sa volonté politique au plus haut niveau. Une réponse interviendra probablement, elle sera scrutée avec attention, jugée trop mitigée par les uns, suffisante par les autres, et, à chaque étape du processus, le débat se renouvellera : stop ou encore ?
Une attitude de rupture.
Cette situation n’est pas nouvelle et l’histoire récente du nationalisme a connu d’autres moments du même ordre. Dès 1975, lors des évènements d’Aleria, le slogan est resté mémorable adressé à Edmond Simeoni : « la canne à pêche ou le fusil ! » lancé par ceux qui allaient créer le FLNC.
L’installation de la première Assemblée de Corse par le statut Defferre a fait rebondir le débat en 1982 entre la participation de l’UPC et le boycott de ceux qui dénonçaient « a tràppula ». Idem 20 ans plus tard lors du referendum Sarkozy, conclusion du processus de Matignon de Lionel Jospin, perdu de très peu, pour quelques voix manquantes, beaucoup de nationalistes s’étant abstenus sous le choc de l’arrestation à grand spectacle d’Yvan Colonna, ce qui laissa la victoire à la classe politique la plus opposée aux avancées institutionnelles de la Corse. L’élection qui a suivi en 2004 fut une des plus mauvaises pour nous, et il a fallu 15 ans pour que la Collectivité unique proposée alors finisse par être créée. Perdre un referendum n’est-il pas d’ailleurs le pire résultat politique pour tout mouvement nationaliste ?
Ces quelques précédents doivent nous instruire : l’attitude de rupture n’a pas toujours été le bon choix !
Pour l’instant ce choix de rupture est écarté. Il l’a été par la délégation de la Corse quasi-unanime, et aussi, de facto, par le calme qui a continué de régner dans les rues d’Aiacciu ou Bastia. C’est à l’État de conforter cette disposition favorable au dialogue de la partie corse en donnant des signaux attestant de sa capacité à surmonter les oppositions internes des plus jacobins. Puis le processus reprendra, continuera et, s’il aboutit, débouchera sur de nouvelles avancées vers l’autonomie. Tout dépendra alors des degrés de liberté que le peuple corse aura gagné pour construire démocratiquement son avenir. Mais ce ne sera probablement pas encore le statut idéal. Et le débat rebondira : faut-il prendre, ou faut-il laisser ? •