par François Alfonsi
Un « processus de négociation à vocation historique » : les termes du compte-rendu co-signé par Gérald Darmanin et Gilles Simeoni en mars dernier ont été pesés et gravés dans un engagement mutuel entre l’État et la Collectivité de Corse.
Mais, depuis ce 18 mars, ce processus de dialogue est resté au point mort, mis en attente en raison de la séquence électorale présidentielle/législatives. Depuis, la situation politique a beaucoup évolué.
Côté Corse, la stabilité a primé, notamment lors du scrutin législatif qui a vu la réélection des trois députés nationalistes sortants, et la confirmation, à travers un score global de 55%, de la légitimité de Gilles Simeoni à la tête des institutions de la Corse.
Côté État, la réélection d’Emmanuel Macron n’a pas suffi à assurer la continuité, et l’élection législative qui a suivi a complètement modifié le paysage politique.
La première réunion du processus, calée début avril avant que la période de réserve ne s’impose au gouvernement sortant, a été repoussée en raison des manifestations qui avaient cours en Corse suite à l’assassinat en prison d’Yvan Colonna. Elle n’a toujours pas eu lieu, et le calendrier reste incertain.
L’installation de l’Assemblée nationale est encore à parachever, et les équilibres politiques sont plutôt mal en point. La majorité qu’Emmanuel Macron espérait est loin d’être au rendez-vous, si bien que les projets de réforme devront trouver un cheminement dans ce maquis imprévu aux alliances impénétrables. Ainsi en sera-t-il de la question corse.
La première question était celle de la succession du groupe Libertés et Territoires. Les sortants RPS sont au rendez-vous, trois députés en Corse et Paul Molac en Bretagne, mais beaucoup des autres ont renoncé ou ont été battus. De nouveaux élus sont cependant intéressés par une même démarche axée sur les territoires, en Outre-Mer notamment, ainsi que des centristes de droite et de gauche restés à l’écart de l’allégeance à Macron comme de l’affiliation à la Nouvelle Union Populaire, Écologiste et Sociale, née dans le sillage de la performance de Jean Luc Mélenchon à l’élection présidentielle.
Ce rassemblement a changé de nom pour donner sa place à chacun de ceux qui l’ont rejoint, et s’appelle désormais Libertés, Indépendants, Outremer et Territoires. Une des conditions de son émergence autour des élus RPS est l’engagement de relayer le processus de dialogue sur la Corse. C’est un premier acquis important qui aurait pu être remis en cause.
Sur les bancs des quatre groupes issus de ceux qui ont été élus avec l’investiture Nupes, LFI, PS, EELV et PCF, un lien les relie à la Corse à travers leur programme commun qui a repris la proposition de Jean Luc Mélenchon d’envisager l’avenir constitutionnel de la Corse sous l’angle de l’article 74 et non plus de l’article 72 qui bloque les transferts de compétence. La proposition est très technique, mais elle acte de facto le préalable d’une réforme de la Constitution à propos de la Corse. Tous seront liés par cet engagement, et nul ne peut vouloir fermer d’emblée la porte au dialogue sur la Corse. D’autant que pèse sur le PCF le poids des élus ultra-marins, sans lesquels il n’aurait pu constituer un groupe, élus qui ont toujours été solidaires des députés corses ; qu’EELV a pris des engagements encore plus forts avant de rejoindre Nupes, et que le PS devrait suivre le mouvement collectif.
Quelques nouveaux élus corses de poids ont rejoint la majorité relative d’Emmanuel Macron à l’Assemblée Nationale, comme Jean Paul Mattei, nouveau président du groupe Modem, ou Marc Ferracci, et aussi Laurent Marcangeli promu président du groupe Horizons. Les défaites de François Pupponi et Bruno Questel, qui avaient notamment co-animé l’action en faveur des prisonniers politiques, en seront en partie compensées. Et on a évité l’entrée en scène d’un Manuel Valls tonitruant contre la Corse. Cependant le groupe RN de Marine Le Pen devrait logiquement s’inscrire dans la tradition de la logorrhée jacobine.
Enfin, la droite parlementaire pèsera encore d’un grand poids, parce qu’elle a plutôt bien résisté électoralement, et surtout parce qu’elle domine encore au Sénat.
Dans ce contexte, le futur gouvernement, au sein duquel Gérald Darmanin a gardé sa place, peut se frayer un chemin s’il en a la volonté politique. Des engagements ont été pris. Il faudra tout faire pour qu’ils soient tenus. •