Par François Alfonsi
L’Histoire de la Corse est celle qui est écrite par le peuple corse. Ce mercredi 27 mars, l’Assemblée de Corse y a contribué par son vote très majoritaire en faveur d’une autonomie pleine et entière. Quoi qu’il advienne du processus de Beauvau, ce vote sera un marqueur fort pour l’avenir de la Corse.
Avant cette délibération du 27 mars 2024, il y avait eu celle du 13 octobre 1988 qui avait « affirmé l’existence du peuple corse ». C’est le principe même de l’autodétermination : pour qu’existe le peuple corse, point n’est besoin que d’autres le reconnaissent, à commencer par l’État dominant. Il y a avant tout besoin que le peuple corse lui-même le proclame dans un élan collectif et démocratique indiscutable.
C’est ce qu’avait fait l’Assemblée de Corse alors, lors d’un débat et d’un vote solennels, dans les termes suivants pour définir le peuple corse : « une communauté historique et culturelle vivante, regroupant les Corses d’origine et les Corses d’adoption ». Le cadre juridique de cette reconnaissance reste encore à finaliser, mais l’accord de Beauvau nous en rapproche grandement en prévoyant d’inscrire dans la Constitution notre « communauté historique, linguistique, culturelle, ayant développé un lien singulier à sa terre ». La délibération de 1988 n’a pas été prise en vain, même s’il reste du chemin à parcourir encore.
Il en est désormais de même pour l’autonomie.
Dans la période moderne, la revendication d’autonomie prend sa source dans les années 70 et la création des premiers mouvements nationalistes corses. Un ouvrage, paru en 1973 à l’initiative de l’ARC, en avait popularisé le terme par son titre « Autunumìa ». Depuis, cette revendication a accompagné toute la vie politique sur l’île.
Elle était donc déjà présente dès 1974/75, lors de la mission d’un certain Liber Bou, émissaire officiel mandaté par Paris alors que prenait force le mouvement politique nationaliste en Corse. Mission qui s’est terminée par une déclaration retentissante, faite en réponse aux demandes formulées : « même 200.000 Corses autonomistes ne pourraient obtenir une modification de la Constitution faite pour 52 millions de Français ».C’était en avril 1975. Quatre mois plus tard éclataient les évènements d’Aleria.
Cinquante ans après, l’Assemblée de Corse vient d’affirmer, dans le cadre d’un processus politique transparent, sa décision d’accéder à « l’autonomie dans le cadre de la République ». Le gouvernement et le président de la République ont accepté que cette demande soit satisfaite. L’Histoire a démenti Liber Bou : 200.000 Corses autonomistes ont bel et bien réussi à obtenir un processus de modification de la constitution !
Je ne préjuge pas des difficultés qui vont encore surgir tant les réflexes jacobins sont terriblement résilients parmi les élus parisiens. Mais que ceux qui gouvernent, et qui ont donc la légitimité du pouvoir politique, aient accepté par un accord officiel d’aller à l’autonomie est déjà une grande victoire. Le statu quo institutionnel, ainsi que tous les plans alternatifs imaginés par Paris depuis cinquante ans, ont échoué à convaincre les Corses. Le peuple corse a rejeté les faux semblants que l’État et ses relais locaux ont mis en avant pour essayer de fondre la Corse, malgré son Histoire, sa Langue et son identité culturelle dans le moule jacobin français.
Le vote de l’Assemblée de Corse du 27 mars dernier a définitivement mis fin à ce projet historiquement inique. Au pas de temps de l’Histoire, l’autonomie de la Corse est actée désormais, tout comme la reconnaissance du peuple corse l’est depuis 1988.
Les mois qui viennent sont dans le temps politique. De la clairvoyance de la classe politique à Paris dépendra le bon déroulement du dialogue nécessaire pour finaliser cet accord de Beauvau dès 2024 par la mise en place de l’autonomie de la Corse. C’est le sens de l’Histoire, et ce serait aussi une leçon de démocratie.
Dans le cas contraire, l’accord de Beauvau fondera de toutes façons, et de façon irréversible, la volonté du peuple corse. Tôt ou tard, le plus tôt serait le mieux pour éviter les soubresauts dangereux d’un futur bafoué, l’autonomie de la Corse est acquise désormais. •