La Turquie a-t-elle sa place en Europe ?

La Turquie est-elle un pays européen? A-t-elle sa place dans l’Union Européenne? Pourra-t-elle, et comment, rejoindre un jour l’Union Européenne? Ce débat, trop souvent enflammé, a fortiori avec le climat délétère actuel, mérite mieux. Éléments de réponse.

L’Europe n’ayant que trois frontières « naturelles » (nord, ouest, sud), le débat sur la frontière orientale est sans fin. D’ailleurs, d’un point de vue strictement géographique, la Turquie, tout comme la Russie ou la Grande Bretagne, est une partie « charnière » à moitié dedans, à moitié dehors. À moitié européenne, à moitié autre chose. La Turquie, tout comme la Russie et la Grande-Bretagne, est un pont vers un autre monde, arabo-musulman (bien que la Turquie ne soit pas arabe) pour la Turquie : orthodoxe et centrasiatique pour la Russie, anglo-saxon pour le Royaume-Uni. Il faut donc traiter les trois pays de la même façon. Soit aucun n’est européen soit les trois le sont. C’est d’ailleurs avec cette philosophie-là, et selon les traités qui stipulent que le candidat doit être un pays « européen », que la Commission Européenne, et les États membres à l’unanimité, ont décidé de refuser de donner le titre de candidat au Maroc, en 1987 (pays non européen) et de le donner à la Turquie, en 1999 (pays européen).

Au-delà de la géographie. Certains répondront qu’il faut être à 100 % européen pour être européen, qu’il faudrait avoir une sorte de pureté « européenne ». Mais alors, comment expliquer que Malte, à mi-chemin entre l’Europe et l’Afrique, soit en Europe ? Comment justifier que Chypre (au sud de la Turquie !) soit en Europe, que la Guyane Française (Amérique Latine) soit en Europe ? Comment a-t-on pu accepter le Groenland, territoire autonome du Danemark, en 1974 ? Enfin comment aurait-on pu accepter, dans la CEE, la France de 1957 majoritairement africaine (l’Algérie ayant été départementalisée et le processus d’indépendance n’ayant pas encore commencé) ? D’autres argumenteront qu’un pays musulman, ou à la culture (si) différente n’a pas sa place dans l’Union Européenne, qu’il faudrait une forme de pureté « culturelle ». Mais alors, comment imaginer que l’Albanie ou la Bosnie (pays majoritairement musulmans) deviennent, un jour, membre de l’UE ? Comment défendre la séparation du temporel et du spirituel si, in fine, le temporel, rejette une ou plusieurs formes de spirituel ? Enfin, il existe des cas bien particuliers qui devraient permettre d’élargir la réflexion. Alors qu’il n’a jamais exprimé son souhait de rejoindre l’UE, Israël participe, pour des raisons politiques, cette fois-ci, à un nombre incalculable de compétitions européennes (coupe d’Europe, championnat d’Europe, Eurovision…). La géographie, inscrite dans les traités, n’est donc pas le seul critère.

Les critères de Copenhague. En 1993, le sommet européen de Copenhague, a défini les critères impérieux à remplir pour adhérer à l’UE. Tout candidat doit, avant de pouvoir rejoindre l’Union, avoir « des institutions stables garantissant la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme, le respect des minorités et leur protection». De plus, le pays candidat doit « avoir une économie de marché viable et la capacité à faire face aux forces du marché et à la pression concurrentielle à l’intérieur de l’UE ». Enfin, il doit avoir « l’aptitude à assumer les obligations découlant de l’adhésion, notamment la capacité à mettre en œuvre avec efficacité les règles, les normes et les politiques qui forment le corpus législatif de l’UE (l’acquis) et à souscrire aux objectifs de l’union politique, économique et monétaire ». Autrement dit, qu’on souhaite ou non l’adhésion de la Turquie, Ankara est a des années-lumière de remplir les critères. Croire qu’elle rentrera demain matin, quand bien même les négociations se poursuivraient, est un men- songe. D’autant plus que le premier critère, la démocratie, l’état de droit, les droits de l’homme et le respect et la protection des minorités, est une condition sine qua non pour débuter les négociations et que, dans ce domaine, la Turquie s’éloigne des critères qu’elle s’est engagée à respecter.

En réalité, que l’on soit en faveur ou non de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne, on doit accepter deux faits. D’une part, les États membres ont accepté, à l’unanimité, que la Turquie puisse faire partie, un jour, de l’Union et d’autre part, qu’il existe des critères d’adhésion non négociables et que, pour l’instant, la Turquie ne les a jamais respectés et qu’elle s’en éloigne de plus en plus. Un droit, ça ne se retire pas, des règles ça ne se viole pas ! La Turquie ne mérite ni privilège, ni discrimination. Il y a des règles, il faut les respecter. Si la Turquie a le droit de rejoindre l’Union sous certaines conditions, elle viole de plus en plus les règles qu’elle doit remplir pour la rejoindre. Dès lors, le vote du Parlement Européen, qui a demandé le jeudi 24 novembre dernier de geler les négociations d’adhésion avec la Turquie du fait de la dérive autoritaire voire dictatoriale de celle-ci, est le bienvenu. Dura lex sed lex.

Roccu Garoby


Vice-Président de l’ALE-Jeune.