L’année 2024 sera déterminante pour l’évolution institutionnelle de l’île. Cela exige lucidité et solidarité de tous les Corses quelle que soit leur tendance politique. Parmi les messages que nous a laissé Max Simeoni, cet éditorial du 30 avril 2015.
Bien connaître son « ennemi »
par Max Simeoni
L’Histoire de ces dernières 50 années devrait être édifiante. Elle a commencé par une prise de conscience insuffisante, erronée même, sur la nature du « système » jacobin républicain. On sortait de la guerre, la « reconstruction » battait son plein, la Corse était en train de se vider de ses habitants, figée dans l’abandon…
Le pharmacien Martini, gaulliste, pensait que cela était dû à l’incurie des politiciens clanistes, incapables de monter des dossiers économiques sérieux pour éclairer Paris afin que la capitale puisse prendre les mesures nécessaires. Son Comité d’études fit d’ailleurs un bon travail de constat sans voir les causes réelles.
À la suite, le Mouvement du 29 Novembre, animé par des non politiques « professionnels » a cru qu’il suffisait d’exprimer sa colère en faisant descendre la population dans la rue pour que Paris se décide. Des défilés « monstres » pour l’époque. Échec total.
Les premiers qui ont initié le « Mouvement national » le firent dans l’incrédulité d’une démobilisation complète. Une vraie dépression populaire. Mais ils avaient tiré la leçon de cette déroute face à un pouvoir jacobin.
Certes il y avait des débuts de revendications régionalistes dans l’hexagone (Bretagne, Occitanie…), au Québec, un mouvement fédéraliste d’intellectuels, mais sans impact dans l’opinion.
Les régionalistes autonomisant menèrent campagne sur le terrain à chaque occasion : contre les essais atomiques souterrains envisagés à l’Argentella, contre la mise en valeur de la Somivac (Aleria 1975), contre le Schéma d’Aménagement touristique (250 à 350.000 lits à construire en 10 ans sur le littoral, affaire de l’Hudson Institute), et contre inlassablement le « système » jacobin et ses courroies de transmission clanistes. Ils ont été très actifs aussi contre les déchets de la Montedison déversés au large du Cap Corse, de concert avec les pêcheurs et les premiers « écolos » (affaire des boues rouges en 1972). Ils développèrent l’idée d’un peuple corse « historique » menacé, car nié et sans droits sur sa terre. À l’échelle d’homme, cela a demandé beaucoup de temps, mais si l’idée a avancé, rien n’est résolu. Trop de Corses encore ne connaissent pas la nature profonde de « l’ennemi ». C’est un combat historique à l’usure que la République des jacobins impose, qui continue malgré l’espoir qu’il a soulevé. Le temps travaille contre le peuple corse. L’impasse demeure. Sa terre est rongée par petites bouchées, même si un plan massif de désappropriation (Hudson Institute) a été rejeté, même si les « natios » font 36 % des votants, même si un plan de « consensus » Padduc a été voté à la CTC, rien n’est acquis.
Le jacobinisme de l’État français est toujours à l’œuvre et la revendication « natio » lui est incompatible idéologiquement. L’ADN de la République a des gènes qui la rejettent. Elle exacerbe la logique des « États-Nations », plus ou moins selon l’Histoire de chacun d’eux. « L’État-Nation » est un produit de rapports de forces constants diplomatiques, guerriers, démographiques, géopolitiques… malheur aux « petits » peuples ! Ils sont phagocytés pour le construire et le consolider. La liste est longue des victimes sur toute la planète.
Deux exemples. Le premier, Arritti en a parlé la semaine dernière : la Luzace (en Saxe), territoire du peuple sorabe, petit peuple, présent depuis plus d’un millénaire, agressé par une pollution dantesque de l’exploitation d’une mine à ciel ouvert de lignite. Problème de santé publique, cancers en forte hausse. Problème de pollution massive de tout le système hydrographique (lacs, rivières, étang… des eaux rouges ou noires…). Destruction de la biodiversité, 150 villages expropriés, 80 déjà engloutis par des excavatrices géantes. 17.000 hectares détruits, stérilisés. L’exploitation est prévue jusqu’en 2050. Les recours politiques et judiciaires n’étant pas recevables au titre d’une ancienne loi nazie qui stipule que l’exploitation du sous-sol est prioritaire sur les droits des individus. C’est la compagnie d’électricité suédoise qui exploite la mine. Celle d’un pays démocratique où il n’est guère possible de faire un tel désastre. Mais ailleurs…
Logique d’État de rapport de forces pour un petit pays sans défense. L’ALE tente de sensibiliser le parlement européen.
Deuxième exemple, la Catalogne qui était une nation et qui avant tout voudrait lever l’hypothèque d’une domination politique exacerbée par le franquisme et décider de son avenir librement.
Bien connaître son ennemi : le jacobinisme de la République. Il n’est amendable que dans un rapport de forces. Je cite deux textes d’un de ses hérauts.
1/ « La Révolution française est l’irruption dans le temps de quelque chose qui n’appartient pas au temps, c’est un commencement absolu, c’est la présence et l’incarnation d’un sens, d’une régénération et d’une expiation du peuple français. 1789, l’année sans pareille, est celle de l’engendrement par un brusque saut de l’histoire d’un homme nouveau. La révolution est un événement méta-historique, c’est-à-dire un événement religieux. La révolution implique l’oubli total de ce qui précède la révolution. Et donc l’école a un rôle fondamental, puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen. Et c’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école, cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la loi. »
(Vincent Peillon, La Révolution française n’est pas terminée, Seuil 2008)
2/ « Le but de la morale laïque est de permettre à chaque élève de s’émanciper, car le point de départ de la laïcité, c’est le respect absolu de la liberté de conscience. Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un “choix”. »
(Vincent Peillon, Le Journal du Dimanche, 2 septembre 2012).
Si après cette lecture, quelques « natios » ont des illusions… •