par Max Simeoni
Voilà près de 60 ans que je ne cesse de plaider dans les colonnes d’Arritti pour la solution de l’autonomie, avec reconnaissance du peuple corse et de ses droits légitimes.
Approcherait-on de l’issue ? Les mois qui viennent seront capitaux. Ce qui se passe dans les couloirs parisiens me semblent à la fois tellement familiers dans l’inquiétude… Les pièges ne manquent pas, les ennemis sont légion : il importe que nous soyons parfaitement conscients, unis, particulièrement au sein de la famille nationaliste, déterminés et vigilants. À ce stade, il me semble utile – encore une fois – de rappeler combien l’itinéraire a été tracé durant toutes ces années de lutte. Je vous parle souvent, amis lecteurs, du manifeste du CEDIC, ou encore de l’ouvrage Autunumìa de 1974. Mais le mouvement autonomiste a produit d’autres ouvrages, comme ce petit opuscule en 1994, publié alors par l’UPC (Unione di u Pòpulu Corsu) sur l’objectif d’autonomie interne. En parler c’est instruire les jeunes générations, et c’est rendre hommage à tous les militants de cette époque.
Voici un extrait, du chapitre « L’émergence de l’autonomie interne : deux manifestes ».
«Ce vocable, s’il a été utilisé dans le passé d’avant-guerre, l’a été d’une façon moins marquante, contrairement à la période d’après-guerre, celle qui va du CEDIC (avril 1964), à l’Action Regionaliste Corse (ARC 1), l’Azzione pè a Rinàscita di a Corsica (ARC 2), l’Associu di i Patriotti Corsi (APC), puis enfin l’Unione di u Pòpulu Corsu (UPC), qui est la filiation de l’autonomisme politique moderne.
L’Autonomie interne, comme expression, surgit dans cette période dans un manifeste que Yves Le Bomin et Paul Marc Seta signent et proposent à la Consulta des Corses de l’Extérieur le 19 août 1962. C’est un petit livre lumineux, format 17 cm sur 13,5, de 10 petites pages, dont 9 sont consacrées à définir et justifier l’autonomie interne.
La proposition d’autonomie interne est proclamée « non politique », pour rassurer l’opinion et les « partis » classiques. Les auteurs ont pensé qu’ils neutraliseraient les aspects partisans pour pouvoir faire adhérer à cette idée nouvelle malgré les chapelles, et préparer ainsi le creuset d’un grand mouvement corsiste.
À l’évidence, la motivation est nationaliste avant l’heure.
Paul Marc Seta fondera, en avril 1964, avec Max Simeoni et une poignée de militants, le CEDIC (Comité d’Études et de Défense des Intérêts de la Corse) (1). Il en sera président, ce qui ne doit rien au hasard.
Ils rédigent tous deux le manifeste du CEDIC, petit livre jaune de 15 cm sur 12, de 30 pages.
Le thème central est celui de « l’ethnie » corse menacée. Désormais, est-il écrit, « toute mesure d’ordre économique et sociale doit avoir pour fondement le respect de cette ethnie et sa conservation, et servira son développement », dont les droits sont « imprescriptibles et sacrés ».
« L’autonomie locale » par un « statut spécial » est nécessaire « pour associer la collectivité insulaire réellement à l’administration comme à l’économie de la Région » (il s’agit de la région géographique, car, à l’époque, la région administrative n’existe pas et la Corse n’a qu’un seul département). Le texte affirme que « la solution se situe en Corse » et que « le changement ne se fera pas de l’extérieur ». « La partie se joue sur l’emplacement même du drame », « l’enjeu est la résurrection ou l’abolition de l’Ethnie ».
Ces deux manifestes sont à la base de l’Autonomisme. Ils ont été assez précis et féconds pour le lancer. Il faut se mettre dans le contexte de l’époque, il y a trente ans, pour bien en mesurer toute la nouveauté et la force fondatrice.
Les causes de la situation catastrophique de la Corse et de son Ethnie sont analysées dans le contexte. Citons en vrac : « le scepticisme latent », « l’attitude négative des pouvoirs publics qui refusent entre autres de traiter le problème de la fiscalité et des transports » (déjà à l’ordre du jour, eh oui !), « le centralisme parisien », « la colonisation des terres en marche par la SOMIVAC », et son aggravation annoncée avec l’ouverture des frontières par le marché commun à peine à ses débuts alors, « affaiblissement de l’Ethnie par l’émigration des Corses et immigration d’allogènes », « une spoliation qui finira par prendre sa vitesse de croisière », etc. Aucun de ces dangereux processus qui ne seront confirmés dans les décades qui suivirent leur dénonciation solennelle du manifeste du CEDIC, insolite pour la plupart des Corses à cette époque.
De nouveaux principes d’action sont énoncés qui paraissent de nos jours naturels : « agir en dehors des clans » et de « la logique des politiciens » pour éviter les récupérations, une direction collégiale pour le CEDIC « qui ne sera jamais un Club mais qui n’est pas encore un véritable mouvement à force populaire large », qui doit rester « légal », qui doit être le levier pour déplacer « le Plan d’Action Régional » (2) au profit des agriculteurs et des hôteliers corses. Ce plan est détourné au lendemain de l’exode massif des Pieds-noirs, en 1962, pour recaser les Pieds-noirs d’Afrique du Nord au détriment des Corses.
Le manifeste réclame deux financements et deux plans : un pour les Corses, et l’autre pour les Pieds-noirs, puisque solidarité oblige. Il insiste pour stopper la décorsisation de l’île. Il est écrit noir sur blanc, avant l’heure de son application, que « la continuité territoriale joue contre la Corse ».
Le manifeste du CEDIC lie la défense et la promotion de l’Ethnie corse à l’autonomie. Le mot ethnie est employé dans le sens de réalité de peuple.
Le CEDIC a fait le constat de la situation et a identifié les mécanismes pervers internes et externes. Par la suite, l’ARC première manière ne sera que l’expression d’une volonté plus opérationnelle d’action sur tous les terrains. L’ARC deuxième manière aboutira à Aleria, le 22 août 1975, et sera le moteur du retour aux sources historiques et culturelles, et le pôle de référence enfin d’une jeunesse ardente qui, retrouvant ses racines, relancera le nationalisme corse. » •
- Marcel Acquaviva, Paul Beretti, Jean Susini, Jean Mannarini, Louis Rioni…
- Plan Guy Mollet, socialiste, Président du Conseil, pour réaménager le Territoire français déséquilibré (rien de nouveau avec le PDR de Pasqua 30 ans après), époque où le livre « Le désert français » de Gravier fait quelques bruits.