par Max Simeoni
Difficile pour moi d’écrire un article. Je répète comme un perroquet les mêmes arguments. Femu vient d’accoucher d’un document qui se veut exhaustif et explicatif pour son congrès général en février. Document de plus de trente pages !
Pour tirer parti du document de travail publié par Femu a Corsica, il faut être un lecteur endurant, et initié. Il convient aux débats d’un congrès si on l’a lu avant et assimilé. Autant dire qu’il concerne les militants du congrès qui devront prendre des décisions. On peut aussi espérer que, dans le public, il amènera certains à être plus ouverts aux arguments en faveur d’une autonomie « pleine et entière ».
En fait, si on regarde dans le rétroviseur, les justifications pour une telle autonomie sont avancées depuis 60 ans (le manifeste du CEDIC en 1964, le premier Autonomia de 1974, 10 ans après, et le deuxième Autonomia en 1991 il y a plus de 20 ans).
L’Autonomia de 1974 comportait, entre autres, la publication du rapport secret demandé par la Datar puis dévoilé par l’ARC un an avant les événements d’Aléria, ainsi que les mensonges honteux de l’État républicain pour se disculper du choix, sur 4 scénarii, de la disparition du peuple corse avec 150.000/200.000 lits en 15 ans accompagnés de 70.000 techniciens. Autonomia de 1991 a détaillé quels étaient les réformes à envisager et les moyens légaux et financiers à utiliser. Il ne restait plus qu’à mettre en chantier, sur le terrain, des moyens politiques tactiques. Sans parler du rabâchage chaque semaine dans ARRITTI.
La leçon n’a pas été tirée. On tourne en rond pour se mordre la queue. Mémoire courte ? Usure du temps ? Bien des autonomistes d’aujourd’hui n’étaient pas encore nés au moment d’Aleria. Quatre statuts particuliers (Deferre, Joxe, Jospin, Cazeneuve) n’ont freiné ni le déclin démographique du peuple corse, ni l’exode, et plus de 3.000 nouveaux arrivants se fixent chaque année, les résidences secondaires poussent comme des champignons. La terre échappe aux autochtones et d’autres s’y installent ou la louent. Réservoir d’hommes vidé (160.000 habitants en 1962). Terre non développée et rentabilisée pour l’économie extérieure par un tout-tourisme. 97 % de ce que nous consommons est importé.
Risible et triste, cet épisode d’un Darmanin ministre de l’Intérieur, troisième de l’État, qui disait venir pour écouter les Corses et discuter de tout sans tabou. Risibles ceux qui, avec un titre d’élus ou de représentants d’une organisation syndicale ou socio-professionnelle, jouent férocement des coudes pour être dans le peloton qui sera reçu.
L’efficacité d’un mandat territorial n’existe pas. Une majorité absolue n’est-elle pas en échec ? Elle est sans opposant externe capable de peser. Le piège de la facilité lui tend les bras !
Or, le déclin du peuple se poursuit ; les Corses, avec le temps, finiront par se contenter des miettes de la saison touristique. C’est bien la disparition du lien entre un homme et sa terre qu’on veut éradiquer, tout ce qui fait qu’un Corse se sent Corse avec un territoire, une langue, une culture, une histoire. C’est bien ce lien qu’on veut faire disparaître pour disposer de sa terre et tirer des bénéfices importants pour l’économie productive continentale.
C’est une des politiques envisagées du fameux rapport secret, dont on ne parle plus mais appliquée en douce, non plus par la Datar, mais par les réseaux bancaires et de crédits. Ici, nos représentants jouent au chat et à la souris. Un rôle de souris édentée, griffes limées, et maigres…
Le chemin à parcourir pour « sauver le peuple corse » reste à prendre et il est long. Comme celui de la langue corse qui sera sauvée quand les mères parleront corse à leurs enfants (rapport de l’Unesco de 2002/2003 sur les langues régionales ou minoritaires).
La pugnacité des culturels pour la langue, pour une culture de continuité entre le présent et l’avenir, est une action positive dans la mesure où elle garde le témoin à passer dans le trail de l’histoire, dans une longue course où l’arrivée est incertaine et les abandons, nombreux, éliminés définitivement.
Ceci est vrai aussi pour les écologistes qui, défendant la nature et la biodiversité, gênent les financiers prédateurs, l’appropriation, la spéculation. Que peut-il y avoir de plus naturellement écologique qu’un Corse ?
Il y a une erreur, que nous manque-il ? La langue corse, tous les politiques, nationalistes ou non, sont pour qu’elle persiste. On est loin du temps où quelques maires souhaitaient la voir interdire !
Il nous manque le seul levier moteur du changement historique, un mouvement de terrain transversal qui soit, au sein du peuple corse, le principal acteur de l’espoir et de la montée en puissance continue de sauvetage. Qui désigne pour l’essentiel ses élus locaux et dans les institutions françaises. Les mandats, en quelque sorte, lui appartiennent.
Chaque pieve a des représentants à une coordination qui doit dégager une cohérence nationale corse. Les élus retenus agissent dans le cadre d’exercice des institutions. Ils doivent rendre des comptes dans leur pieve et à la coordination. Ils reçoivent des indications de la part de la coordination.
Je reviendrai sur cette organisation de terrain du mouvement national autonomiste. Elle est capitale. Elle doit sécréter la conviction, la détermination, la démocratie. Bref, l’auto-formation en groupe au sein du peuple en lutte pour sa survie. •