20 avril 2017, c’est la date de cet éditorial de Max Simeoni qui part des élections présidentielles pour évoquer la situation confuse de la Corse. Aujourd’hui on parle (ou si peu) des élections européennes, ou des futures municipales ou territoriales, alors que comme hier « la première priorité » est ailleurs : créer l’espoir, disait Max Simeoni, donner confiance, resserrer les rangs et s’organiser en conséquence pour donner un avenir au peuple corse. On est toujours dans la même équation.
L’essentiel est un problème d’espoir
par Max Simeoni
Les citoyens français ont à choisir un Président, l’homme fort de leur République à la hauteur de ces temps de crises mondiales ; on sent bien qu’une ère nouvelle est en train d’accoucher dans la difficulté. Quel sera le prix à payer ? Un passage par le chaos n’est pas à exclure.
Frontières poreuses, flux massifs de populations incontrôlables, l’occident a dû décoloniser, la suprématie technico-industrielle des USA est contestée par des pays émergents, l’Europe grande puissance commerciale inachevée et fragile, la Russie a des difficultés dans ses confins d’Europe, d’Asie, de Moyen-Orient, elle subit comme l’Occident le terrorisme ; mal contenues sont les diffusions des armes nucléaires, des gaz, des armes chimiques (Corée du Nord, Iran, Iraq, Syrie…).
Trump s’accroche à l’idée d’un « rêve américain », Poutine poursuit la politique des tzars de la « Grande Russie » et du Kremlin soviétique, débouchés vers les mers du sud, rompre l’encerclement des Puissances maritimes, enjeux pétroliers…
La Chine après le Japon et les Dragons du Sud commencent la compétition (la guerre ?) économique.
L’Amérique du Sud veut en finir comme succursale coloniale de Washington.
Le continent africain promis à une démographie de grande ampleur de jeunes ne peut laisser indifférent les États de l’hémisphère nord, trop de matières premières dans et sur leurs sols, dans leurs mers et demain le marché d’un continent de consommateurs… Donc des options, des garanties à prendre, des proximités, des présences à assurer… post coloniales.
Surprise des primaires de gauche puis de droite qui désignent les candidats les moins favoris. D’après les sondages d’hier à dix jours du premier tour, quatre candidats au coude à coude, deux de droite et deux de gauche sans regroupement pour le second tour. C’est dire que tout est possible. Pas de dynamique au-delà des militants, l’humeur est maussade. Le report des voix indéchiffrable, après le premier tour il n’est pas certain qu’on puisse y voir très clair, un « tous contre Marine » pourrait sauver la face dans l’urgence sans pour autant donner une majorité qui permette de gouverner. C’est dire que les élections législatives sur la lancée seront acrobatiques et fongibles.
Tout cela pour dire qu’en Corse il y a peu à en espérer. Les compétiteurs élyséens ne choisissent rien du minimum Padduc des propositions qu’on a faites, qu’on nous avait demandées de faire il y a cinq ans. Ils ont trop peur de faire des votants mécontents dans l’île et peur des instrumentalisations et des surenchères politiciennes hexagonales (« la République une et indivisible », « le communautarisme », « l’égalitarisme républicain »…) une fois Président élu serait-il en mesure d’envisager de prendre en compte le vote du Padduc par la CTC et pour cela convoquer le congrès à Versailles en vue de réformer la Constitution sur les deux points minimaux, la coofficialité et le statut de résident ?
Un pouvoir faible est toujours empêtré dans les enjeux immédiats (relance économique, emplois, sécurité, aides sociales coûteuses…). Il remet à plus tard, aux calendes grecques, les réformes structurelles indispensables. On peut spéculer sur un chaos tel qu’il contraindrait d’en sortir. Question vaine. Tant mieux s’il en était ainsi, élucubration pour l’heure.
Alors sur quoi miser ? Sur soi-même quel que soit le contexte, même bon, sans engagement ferme de notre part rien ne se fera, et s’il est défavorable tout sera encore pire…
Concrètement que faire ? Jouer toutes les cartes ne serait-ce que pour ne pas les laisser aux mains des forces politiques peu ou anti natios. En forger chaque fois que possible dans ce jeu institutionnel biaisé quelques-unes d’utiles. Faire connaître le « problème corse » de partout en Europe, en Méditerranée, en France, et ailleurs, à l’ONU comme cela a été ébauché à nos débuts… Mais surtout créer l’espoir, un état d’esprit différent qui alimente l’envie de liberté, de responsabilité, de solidarité.
Une transparence dans la gestion déléguée par le suffrage universel, oui pour une « maison de cristal », oui à une démocratie où l’élection n’est pas une parodie de carriéristes mais un engagement d’abnégation au service de l’intérêt commun. Oui à la parole tenue suivi d’effet, sans emphase.
Progresser dans l’estime et la confiance d’un Peuple qui peine à se trouver, sous la pression de besoins immédiats (plus de 20.000 pauvres et nombre de précaires !), conditionné à attendre tout d’une République jacobine pour laquelle il n’existe pas, sans droit légal sur sa terre, un Peuple qui a du mal à envisager un avenir. Comment redresser la barre, sans passéisme, sans nostalgie facile mais avec la force de conviction dans ce Peuple d’une injustice à surmonter pour lui-même après avoir été déraciné par l’exode pour les besoins de la politique impérialiste coloniale de la République et dont la terre insulaire est de nos jours livrée à la spéculation immobilière.
Comment passer de la mentalité engendrée par une civilisation agropastorale nécessité de survie dans la dignité à une civilisation de loisirs, de bronzage, de résidences secondaires, de consommateurs touristes et autochtones.
Se satisfaire de paillotes, de camions de pizza, des miettes des retombées, et comme maire se réjouir de la moindre bâtisse nouvelle qui amène quelque taxe et augmente le nombre d’habitants épisodiques. Vivre sous la table des miettes ? Voire se les disputer ? Envier les quelques opportunistes qui en profitent ?
Se contenter des primes à la vache, tout en important un maximum de viandes comme la presque totalité des produits consommés ?
Avoir une agriculture « aidée » mais concurrencée par l’enveloppe de Continuité territoriale, réduite à quelque espoir de labels de qualité, alors qu’elle néglige ses potentialités (châtaigniers, oliviers, agrumes… presque tout peut pousser sur l’île qui a de l’eau en abondance…), son cheptel ovins, caprins et leurs fromages, etc.
La première priorité commence par les « natios ». Ils doivent donner un comportement exemplaire de démocratie (informations partagées, débats clairs, le moins possible d’apartés en coulisse, vote pour trancher si besoin…). Ils ne peuvent pas pourfendre le clanisme au service d’une tutelle jacobine et jouer avec les mêmes cartes truquées, en appelant les Corses à l’esprit de Pasquale Paoli.
L’essentiel est un problème d’espoir, de responsabilité collective, de solidarité, de service de l’intérêt général du Peuple corse. La déshérence du pouvoir centralisé peut amener bon nombre de Corses à resserrer les rangs, à compter sur eux-mêmes… car il est évident que la garantie n’existe qu’ensemble pour qu’un jour dans quelques générations les enfants de ce Peuple puissent dire : notre Peuple est hors de danger, il a un avenir. •