Peuple corse

Sommes-nous les derniers ?

Max Simeoni
par Max Simeoni
Il manque une colonne vertébrale aux forces autonomistes pour faire plier le pouvoir central parisien jacobin. Il suffit de survoler les deux siècles de dominance républicaine pour que cette carence saute aux yeux.

 

 

De 1818 à 1913, durant 95 ans, la loi douanière est appliquée. Elle est faite pour couper tout lien avec les villes de l’Italie, qui sont des puissances maritimes et bancaires concurrentes entre elles, aux arrières-pays réduits pour une production agricole. Les Corses y trouvaient des colonisateurs pour les possibilités agricoles (Gênes a encouragé l’exploitation des châtaigniers, la farine certes, et aussi l’élevage des porcs de charcuterie). Mais ils pouvaient le plus souvent trouver un appui contre les abus d’un colonisateur auprès d’une ville concurrente.

D’ailleurs, le père de Pasquale Paoli s’est réfugié à Naples après la défaite de Ponte Novu et Pasquale y a fait sa formation d’officier militaire.

L’île non développée servait de réservoir d’hommes pour encadrer le vaste Empire colonial sur tous les continents et pour ses guerres. La loi douanière fût levée en 1913, la veille de la guerre de 1914… 12.000 à 13.000 procréateurs laissèrent la vie au champ d’honneur. Une saignée démographique catastrophique.

 

Les familles nombreuses avaient deux filières importantes pour soulager les leurs restés au village : l’armée et les colonies de l’Empire. Après un contrat de 15 ans, ils pouvaient revenir, entretenir la maison des anciens, les tombes au cimetière, recevoir les cousins en vacances, pour des enterrements, exilés eux aussi dans l’Empire ou ailleurs. L’héritage des maisons était difficile à partager à cause aussi des arrêtés Miot qui dispensaient les héritiers de taxes de succession. Après deux ou trois générations, elles demandaient aux notaires de laborieuses recherches d’ayant droits aux quatre coins de France et du globe terrestre. Ces arrêtés Miot prennent fin sous peu, par décision de l’État. La sortie sera laborieuse et propice à tous les spéculateurs avertis !

Ce ne sont pas le souvenir des ancêtres ni les bâtisses délabrées qui vont les animer mais la spéculation sur les terres attenantes en jachère pour les bâtisseurs de maisons individuelles avec vue sur la mer !

 

Ce n’est qu’après la fin des colonies (accords d’Evian en 1962 signant l’indépendance de l’Algérie par le Général De Gaulle) que la France est dans le jeu débutant de la construction européenne et elle attribue à l’île un « tout-tourisme, moteur de l’économie ». L’ARC publie le rapport secret commandité par la Datar à l’Hudson Institute. Des quatre scénarios proposés, l’État républicain a choisi le plus néfaste pour les autochtones qui vise à leur disparition comme communauté historique.

Les Corses le rejettent, mais il fonctionne en douce, à bas régime (nouveau peuplement : 5.000 arrivants chaque année dont beaucoup s’y installent, etc.)

L’île importe plus de 97 % de sa consommation : habits, nourritures… Elle est une source de revenus pour les regroupements et redistribution des plateformes extérieures, Marseille notamment. Elle est une base de spéculations et de dérives mafieuses. La mafia existe là où l’argent circule. Nos délinquants, quand l’île était non développée, logeaient à Paris-Lyon-Marseille. Quand ils venaient en Corse pour voir leurs familles, ils se fondaient en elles et de temps à autres donnaient un chèque pour redresser la croix de l’église !

Peu à peu, ces blocs familiaux dispersés par l’exil perdirent leur cohérence, s’effritèrent et disparaissaient. Il resta dans quelques mémoires le lieu d’origine d’un ancêtre, l’île de Corse !

 

Le rural montagneux est vide. Il était la matrice de la culture Corse : son agriculture (potagers près des maisons ou d’une source d’eau descendant des montagnes, châtaigniers, fruits…) ; son artisanat utilitaire (cabriolets, fers à chevaux, lanières de peaux d’animaux pour les cordages de traction des attelages, pins laricio pour les mats d’embarcation, argiles pour les caves, etc.). Puis l’automobile et la course politique pour désenclaver les villages qui ne disposaient que de sentiers muletiers… le véhicule à pétrole-essence et quatre roues, les camions forestiers vont reléguer la traction animale. L’ouverture d’une route a été un enjeu de députation.

L’île a subi la période industrielle et ses aléas, à part sous Napoléon III (les hauts fourneaux de Toga !), 95 ans de loi douanière, pertes humaines des guerres… le peuple corse a servi de réservoir d’hommes pour la politique d’Empire colonial de la République.

Fin de cet Empire avec l’indépendance de l’Algérie en 1962. J’ouvre mon cabinet à Bastia ; à cette époque, l’île n’a que 160.000 habitants corsophones. Elle reçoit la fournée d’exil des 18.000 Pieds-noirs d’Algérie. Installés sur les terres agricoles à la place des jeunes insulaires dans l’obligation de partir ailleurs pour chercher un avenir possible !

Réservoir d’hommes valides vidé, terre insulaire préservée dans sa biodiversité, elle offre un champ d’empoigne pour ce « tout-tourisme » dont les autochtones ne ramassent que des miettes.  Les bénéfices vont aux acheteurs argentés qui s’offrent une résidence secondaire à deux heures des villes d’Europe. Ils vont surtout aux producteurs/financiers de l’Hexagone et des continents qui démarchent une clientèle touristique organisés en plateforme de récolte des demandeurs.

 

Du réservoir d’hommes, on est passé à une réserve de terrains pour construire. Les autochtones n’ont plus de branches où s’accrocher. Les prix des terres dépassent leurs possibilités.

Peu d’hommes enracinés, la terre de leurs ancêtres à l’encan. Le peuple corse à la porte des oubliettes de l’Histoire des peuples.

Nous, sorte de derniers des Mohicans, ouvrons les yeux et retroussons nos manches. Cessons de jouer dans la grange des cochons pour nous disputer des morceaux de mandats locaux sans valeur ! •