« Rapport sur les îles et la politique de cohésion : situation actuelle et défis à venir », c’est le nom d’un rapport présenté par Younous Omarjee, député de La Réunion, président de la Commission du développement régional (REGI), membre de l’intergroupe Searica (mers, fleuves et rivages côtiers) dans lequel œuvre une commission des îles, coprésidée d’ailleurs par le député de la Corse François Alfonsi. Ensemble et avec d’autres eurodéputés venus de différentes îles européennes, ils ont travaillé à l’élaboration de ce rapport dont Younous Omarjee est le rapporteur pour la Commission REGI. Rapport adopté ce mardi 7 juin 2022 à une très large majorité du Parlement européen ! C’est une bonne nouvelle pour les îles qui jusqu’ici n’avaient pas été prises en compte en tant que telles dans les politiques de cohésion. Désormais la Commission Européenne et les prochaines directives devront en tenir compte. C’est une belle avancée ! Et les responsables politiques des îles européennes ne s’y sont pas trompés, puisque nombreux ont fait le déplacement à Strasbourg pour assister au vote de cette résolution, puis à une réunion commune, dont Gilles Simeoni, Président du Conseil Exécutif de Corse*, en présence également de la Commissaire européenne à la cohésion et aux réformes, Elisa Ferreira, et de la Présidente maltaise du Parlement européen, Roberta Metsola.
Ce rapport dresse un état des lieux et rappelle les principaux enjeux à relever pour les îles. C’est une belle feuille de route ! Extraits.
Considérant que les régions insulaires de l’Union représentent une population estimée à plus de 20 millions d’habitants, soit 4,6 % de la population totale de l’Union, répartie sur environ 2.400 îles appartenant à 13 États-membres.
Considérant que les îles combinent souvent des handicaps structurels multiples et permanents tels que la petite taille, la faible densité, la pression démographique saisonnière, l’étroitesse du marché, la double insularité (île et archipel), une topographie difficile, la dépendance vis à vis des transports maritimes et aériens, la dépendance vis à vis d’un petit nombre de productions.
Considérant que les spécificités des îles sont reconnues par l’article 174 du Traité FUE et que l’application concrète de cet article fait toujours défaut ;
Considérant que les régions insulaires sont toutes comparativement moins développées que les régions continentales de leur État-membre et ont un PIB par habitant inférieur au leur ;
Le Parlement européen :
Caractéristiques et spécificités des îles
– reconnaît que l’insularité est un handicap structurel permanent ;
– rappelle que l’article 174 du traité FUE dispose que l’Union doit apporter une attention particulière aux îles européennes ;
– regrette le manque de vision de l’Union pour les îles européennes et appelle de ses vœux l’élaboration d’une stratégie européenne pour les îles ainsi que la valorisation des atouts des îles ;
– souligne que le PIB et le niveau de développement des îles européennes sont en deçà de la moyenne de l’Union et des pays dont elles font partie ;
– rappelle que l’insularité génère des problèmes structurels de dépendance vis à vis des transports maritimes et aériens qui constituent des services publics dont dépend la vie des citoyens européens vivant sur une île ;
– souligne que l’isolement lié à l’insularité implique une dépendance vis à vis des marchés du Continent et accroît le coût de certains services comme la gestion des déchets ;
– s’inquiète des évolutions à long terme qui peuvent conduire à une économie fondée uniquement sur le tourisme ; insiste sur la nécessité de diversifier l’économie des îles afin de trouver un juste équilibre et de diversifier le marché du travail ;
Difficultés et défis pour les îles européennes
– Changement climatique et biodiversité (les îles abritent une grande part de la biodiversité mondiale)
– Accès à l’eau et gestion de l’eau
– Transition énergétique (demande des règles et un soutien financier spécifiques visant à atteindre les objectifs de neutralité climatique ; demande que soit fixé pour toutes les îles européennes un objectif d’autonomie énergétique fondé sur les énergies renouvelables)
– Développement économique et social (soutien au tissu économique local ; adoption de mesures pour lutter contre le dépeuplement et la fuite des cerveaux et des compétences ; améliorer les infrastructures de santé)
– Culture (les identités culturelles et linguistiques des îles doivent être protégées et promues ; faire de 2024 l’année européenne des îles)
– Agriculture et pêche (nécessité d’adopter un règlement prévoyant des mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en vue d’atteindre l’autonomie alimentaire et d’accroître la compétitivité de leurs productions ; soutien aux chaînes d’approvisionnement courtes, développement d’un secteur agricole orienté en priorité vers les productions traditionnelles à forte valeur ajoutée)
– Tourisme (faire en sorte de résoudre le problème du tourisme saisonnier et soutenir les projets pilotes innovants afin de promouvoir des solutions plus écologiques et numériques) ;
– Accès aux services publics (nécessité d’assurer la continuité territoriale entre toutes les îles par des transports maritimes et aériens durables)
– Réévaluation des régimes d’aides d’éÉtat (demande de création d’une sous-catégorie « îles », suppression des plafonds de minimis, réexamen du critère de distance (150 km) utilisé pour la classification des îles en tant que régions frontalières)
Pour une politique spécifique et sur mesure pour les îles ; Pacte des îles et plan d’action européen
– souligne que le manque de données statistiques sur les îles entrave l’élaboration de politiques ciblées et invite la Commission à améliorer la collecte de données statistiques relatives aux îles européennes ;
– demande à la Commission d’envisager de créer pour les îles un programme semblable à l’initiative urbaine européenne ;
– demande à la Commission de réaliser une appréciation dynamique de l’article 174 du traité FUE pour créer une véritable stratégie européenne pour les îles ;
– demande qu’un « pacte des îles » soit élaboré et mis en œuvre au plus vite (associant) autorités nationales régionales et locales, acteurs économiques et sociaux, société civile, milieu universitaire et organisations non gouvernementales, sur le modèle du pacte urbain et du futur pacte rural. •
* Outre les membres de la Commission REGI, Younous Omarjee, François Alfonsi, Stelios Kympouropoulos, Josianne Cutajar, étaient notamment présents pour les régions : Rosario Sanchez, ministre des Baléares, Christian Solinas, Président de la Sardaigne, Rodi Kratsa, Gouverneur des îles ioniennes, Josip Bilaver, Ministre de la Mer, des Transports et des Infrastructures de Croatie, Clint Camillieri, Ministre de l’île de Gozo, principale île de Malte, Georgios Hatzimarkos, gouverneur du Sud de la Mer Egée, Costas Constantinou, secrétaire permanent au ministère de l’intérieur de Chypre, Gaetano Armao, Vice-Président de la Sicile, Panagiotis Koufelos, vice-gouverneur du Nord de la mer Egée, Michele Cossa, présidente de la Commission spéciale pour la reconnaissance du principe d’Insularité, et bien sûr Gilles Simeoni, président de la Collectivité de Corse, et Marie Antoinette Maupertuis, présidente de l’Assemblée de Corse.
François Alfonsi, intervention en plénière du Parlement européen
« Le départ d’un processus vital »
« Monsieur le Président, Monsieur le Commissaire,
Le rapport d’initiative que nous devons adopter durant cette session est le point de départ d’un processus vital pour l’avenir des territoires insulaires de l’Union Européenne.
Depuis un quart de siècle, les périodes de programmation de la politique de développement régionale de l’Union Européenne se sont succédées sans que la situation dans les îles ne se soit améliorée.
Cela se vérifie à travers les indicateurs macro-économiques, comme le PIB, le taux de chômage, le seuil de pauvreté, et d’autres encore.
Mais cela se vérifie surtout à travers l’accroissement continu des déséquilibres qui affectent les économies insulaires dans leur ensemble. Toujours plus de services, le plus souvent liés au tourisme, mais toujours moins d’industrie, toujours moins d’agriculture, toujours moins de jeunes et de diplômés, toujours moins de recherche et d’innovation.
La crise du COVID a montré que les îles sont des territoires plus vulnérables que les autres et que leur modèle économique actuel, que les politiques européennes alimentent objectivement, conduit nos territoires dans une impasse.
Dans 25 ans, où en serons-nous si nous continuons de la sorte ? Dans 25 ans, il n’y aura plus que le tourisme, la déprise agricole abandonnera nos écosystèmes aux incendies et aux catastrophes naturelles, la richesse de la diversité culturelle que chaque île apporte à l’Europe sera éteinte, et la biodiversité gravement atteinte. Même le tourisme connaîtra alors le déclin faute d’avoir su préserver une société équilibrée et résiliente pour l’accueillir.
Il faut changer de politique pour les îles de l’Union Européenne. Ce rapport fait à cet effet des propositions constructives et de bon sens.
Il énonce une vérité incontournable : l’insularité est un handicap structurel permanent qu’il faut réussir à compenser. Le cumul des effets de l’insularité doit être pris en compte à travers des réglementations différenciées qui établissent une égalité véritable entre les acteurs économiques insulaires et leurs homologues des territoires continentaux.
Tel est le « plan d’action européen », le pacte pour les îles que nous demandons à la Commission de réaliser en mettant en œuvre l’article 174 du traité de Lisbonne. » •