La récente remise en cause du Capes de Corse par le ministère de l’Éducation Nationale a provoqué une vive protestation des enseignants de langue corse. Elle est aussi un signal envoyé à nous tous qui voulons que la langue corse retrouve droit de cité sur notre île: s’en remettre à l’Éducation Nationale pour l’avenir de la langue corse, ce serait tout simplement renoncer.
Cette réforme du Certificat d’aptitude au professorat d’enseignement en second degré pour la langue corse est très significative, puisqu’elle renverse l’ordre des coefficients pour noter les candidats au diplôme : désormais l’épreuve de français sera dotée d’un coefficient double de l’épreuve de langue corse, alors que jusqu’à présent c’était le contraire.
On comprend bien l’intention de ce renversement de valeurs : accompagner l’érosion des effectifs en lycée et collège, prémédité et obtenu lors de la réforme du baccalauréat du ministre Jean Michel Blanquer, en prévoyant de reverser les enseignants de langue corse dans l’enseignement du français au fur et à mesure que l’Éducation Nationale aura fait diminuer puis disparaître les effectifs des élèves s’inscrivant en langue corse, en partant de la réforme du baccalauréat, en remontant progressivement ensuite au collège, puis au primaire.
Face à cette volonté bien ancrée du ministère de l’Éducation Nationale, il faut développer impérativement une stratégie alternative qui assure aux jeunes corses un cursus scolaire qui leur donnera une véritable acquisition de la langue corse.
Car depuis la création de Scola Corsa dans les années 70, le profil linguistique de la Corse a beaucoup évolué. Il y a cinquante ans, la corsophonie naturelle était encore très largement répandue, presque totale chez les cinquante ans et plus, la génération des grands-parents de l’époque, largement répandue chez les 25 ans et plus, la génération des parents, encore bien présente parmi les natifs des années cinquante et soixante, la génération scolaire d’alors.
Un demi-siècle après, tout cela est bien fini. La corsophonie naturelle est désormais minoritaire chez les cinquante ans et plus, occasionnelle chez les 25 ans et plus, et exceptionnelle parmi la population scolaire. Faire ce constat n’est pas baisser les bras. Il s’agit simplement de regarder la réalité en face, et de prendre les décisions qui s’imposent pour redresser la situation.
Car, si on se projette d’ici à vingt ans, il est à prévoir que la ressource humaine ne sera plus ni assez nombreuse ni assez qualifiée pour faire vivre la langue corse, dans l’enseignement, mais aussi à travers la culture, les médias, la publicité et tant d’autres applications indispensables à sa présence au quotidien dans la société.
Mettre en place une filière d’enseignement parallèle à celle de l’Éducation Nationale n’est donc pas une affaire de préférence éducative, mais une question de nécessité politique d’urgence. C’est ce qu’ont compris et réalisé les militants basques avec Seaska, et bretons avec Diwan, dont la filière alternative associative est complète de la maternelle au lycée, permettant de faire entendre dans les cours de récréation des enfants s’exprimant en basque et en breton. Même s’ils sont minoritaires (quoique au Pays basque, la filière scolarise déjà plus de 10 % des élèves), ces enfants seront le vivier de demain pour répondre aux besoins de toutes les professions qui seront indispensables pour poursuivre un projet politique de reconquête linguistique, fondement premier de la démarche nationaliste qui depuis un demi-siècle s’est développée en Corse, et que nous avons mission de poursuivre.
La dernière assemblée générale de Femu a Corsica, réunie en décembre 2019 dans l’amphi bondé de l’Université de Corse, a adopté à une très large majorité un vœu pour que notre parti mette en œuvre un tel projet. En septembre dernier, malgré les contraintes de la pandémie, nous avons trouvé soutiens et conseils au Pays Basque pour lancer notre filière en Corse, à partir de classes maternelles, puis à évoluer progressivement à tous les niveaux de la scolarité jusqu’au baccalauréat. Basques et Bretons l’ont prouvé : un tel projet est possible dans le cadre institutionnel français, et il a pu être mené à bien malgré leur plus faible représentation des partis nationalistes dans les institutions territoriales.
Il faut avancer d’urgence en Corse dans cette même démarche. Nous avons la maîtrise des institutions territoriales, c’est une responsabilité qui nous incombe. Nous ne pouvons nous y dérober ! •