La commission d’enquête parlementaire a entendu le 22 mars, le docteur Christine-Dominique Bataillard, médecin psychiatre, praticien hospitalier et chef de pôle des unités pour malades difficiles de l’hôpital de Montfavet (Avignon) et des unités en milieu pénitentiaire de la maison centrale d’Arles, du centre de détention de Tarascon et du centre pénitentiaire du Pontet. La commission a également entendu Dominique Simonnot, contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Ainsi que, le 29 mars, l’ancienne garde des Sceaux, Christiane Taubira, et Stéphane Bredin ancien directeur de l’administration pénitentiaire, actuel préfet de l’Indre. Elle a également entendu à huis clos le surveillant chargé de l’aile de la centrale où se situe la salle de sport où s’est produit l’agression mortelle. On se souvient qu’il s’était absenté sans raison… Interrogé par l’Inspection générale de la justice, il avait dit ne pas se souvenir où il était…
« Il y a 250 morts par an dans les prisons françaises » déplore Mme Simonnot « un peu plus de 120 suicides » et plus de 30 % des détenus sont atteints de troubles mentaux. Concernant Yvan Colonna, « le contrôle général est fondamentalement, intrinsèquement, profondément pour le rapprochement familial dans tous les cas » dit-elle. Concernant le travail d’auxiliaire : « on prône fermement que personne ne soit exclu de ce statut de travailleur… pour nous la vie dedans doit se rapprocher le plus possible de la vie dehors pour favoriser la sortie ». Mme Simonnot déplore bien évidemment le drame. « La sécurité prime trop et ça me déchire un peu de dire ça maintenant qu’on sait ce qui s’est passé » dit-elle encore en dénonçant « cette permanence de l’ultra sécurité », la non prise en charge des troubles psychiques graves et le fait que « la prison joue le rôle des asiles d’antan ». « Si cette mort peut avoir une signification, qu’on se penche tous sur ce problème sérieusement » dit-elle encore en citant des exemples des drames qui se déroulent en prison, l’absence de protection, la peur quotidienne : « l’intégrité corporelle n’est pas assurée, la dignité humaine non plus ». Elle fait état de la situation générale des prisons, des conditions de détention exécrable, la drogue, les maladies, les violences, les abus… qui fait qu’on en sort « plus abîmé » que qu’on on y est entré. « On est un peu saisi de la manière dont petit à petit collectivement on s’est tous habitué à dire c’est comme ça, c’est la prison ! » témoigne encore avec un certain désespoir Mme Simonnot. Elle prône la judiciarisation des décisions, notamment sur le statut de DPS : « ce serait beaucoup plus sain ».
Mme Christine-Dominique Bataillard, médecin psychiatre, a exercé à la maison centrale d’Arles. Une étude révèle 60 % de troubles psychiatrique en prison « avec une grande prévalence de troubles addictifs », 11 % de troubles psychotiques susceptibles d’entrainer des violences (contre 3 % dans la population générale). Dans le dernier bilan d’activités de son unité, sur 130 personnes, une quarantaine (30 %) présente des troubles psychotiques, 10 fois plus que la population générale, 3 fois plus que l’étude.
Le président rappelle les faits qui occupent la commission et interroge sur la personnalité de l’agresseur, ses troubles qui selon l’administration empêchaient son transfert en QER, sa capacité aussi à dissimuler ces troubles de comportement selon des agents, sa schizophrénie possible… Mme Bataillard répond en rappelant le « secret médical » qui ne lui permet pas d’évoquer le cas précis de Franck Elong Abé. L’administration pénitentiaire n’est pas informée des entretiens et des soins menés par les médecins psychiatres de même que ceux-ci ne font pas partie des commissions en QER, elle précise que la seule issue sur des troubles constatés c’est l’hospitalisation, systématiquement. Depuis 10 ans qu’elle exerce en milieu carcéral, Mme Bataillard considère que « la santé mentale des personnes détenues s’est aggravée ». Des personnes dont on « ne sait pas trop où les mettre » lorsqu’elles sortent de prison, « puisqu’il n’y a pas de lieu ». De même « il y a tout un engrenage qui fait qu’on soigne mal en prison ». Les diagnostics, les soins, les suivis du détenu sont compliqués.
L’audition de Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux, ministre de la Justice de 2012 à 2016, était attendue car elle a eu à traiter la situation des DPS, la demande de rapprochement familial d’Yvan Colonna et des membres du commando Erignac, mais aussi la situation des détenus radicalisés. La ministre dit se souvenir de « l’ambiance pesante » lors de l’arrestation d’Yvan Colonna, des tensions liées à l’histoire particulière de la Corse. Elle qualifie de « fait extrêmement grave » le décès d’un détenu placé sous la surveillance de l’État. « Je dirais en tant qu’ancienne garde des Sceaux, objectivement il s’agit d’une faillite » dit la ministre qui ajoute « l’assassin répondra seul de son acte, mais j’exprime là simplement une position de principe selon l’éthique de responsabilité au titre de l’exercice de la puissance publique ». Interrogée sur sa gestion des statuts DPS des détenus de l’affaire dit Erignac, Madame Taubira répond : « il va de soi que le ministre n’étudie pas, n’institue pas, n’examine pas, ne se prononce pas sur le statut de chaque détenu ou prévenu d’ailleurs relevant du statut de DPS. La commission est interrégionale. Elle doit se tenir au moins une fois par an ». Mme Taubira y a introduit « la procédure contradictoire », permettant à la personne de faire valoir des observations écrites ou orales et être assistée de son conseil.
Concernant Yvan Colonna, elle dit avoir été informée en juillet 2013 « qu’il y avait une suspicion de préparation d’évasion », « remontée par plusieurs sources différentes » pour expliquer son maintien au statut de DPS et son transfert à Réau. « Est-ce qu’il y a une gestion politique ? Je pense que le mot politique n’est peut-être pas le plus approprié parce que ça ne serait pas concevable dans un État de droit que l’on gère les libertés sur un fondement politique » dit encore Mme Taubira, mais la prise en considération du risque d’évasion, « l’émoi que cela peut susciter », peut amener à ne pas considérer de la même façon les détenus basques ou corses « parce que ce ne sont pas les mêmes situations objectivement ». Elle évoque les trois critères empêchant le rapprochement : réclusion criminelle à perpétuité, période de sûreté, statut DPS.
Jean Félix Acquaviva rappelle que le risque d’évasion s’est avéré être un « faux bruit » et que les avocats d’Yvan Colonna l’avaient emporté devant le tribunal administratif de Toulon en 2007 qui avait conclu à un excès de pouvoir sur le refus de levée du statut de DPS, qui s’appuyait sur la tenue d’une fausse réunion et de faux documents pour justifier l’avis défavorable. Interrogée sur son action concernant les détenus radicalisés, elle dit avoir, à l’appui d’indicateurs qui révèlent que 3 % de la radicalisation se fait dans les mosquées, 14 % en milieu carcéral, et donc 80 % au sein de la société, mis en place des politiques publiques, un réseau de magistrats référents antiterroristes, des programmes de formation, des mesures sur le financement du terrorisme, et sur la protection de la jeunesse, la sécurisation des établissements pénitentiaires etc.
Entre ses joutes avec les députés du Rassemblement national, et le bilan qu’elle veut faire valoir, la commission n’avance pas vraiment dans ses questionnements. La ministre reconnaît tout de même qu’il est « énigmatique que ces deux DPS se soient trouvés en même temps. Ils avaient tous deux une activité générale, ils se retrouvent tous deux au même lieu… sans surveillant »… Sur le service de renseignement, Mme Taubira informe que durant son mandat, « le renseignement pénitentiaire passe de moins d’une trentaine à 189 » mais elle se dit persuadée que c’est l’extérieur « qui renseigne », les réseaux, les relations, la surveillance de la correspondance, et elle prône des « relations structurantes » avec les grands services de renseignement au niveau national. Le président l’éclaire sur les enseignements que la commission peut tirer de l’analyse de la trajectoire d’Yvan Colonna et de son assassin, des « fautes systémiques » ont été commises. Il interroge la ministre sur les relations structurelles entre le PNAT et l’administration pénitentiaire, notamment dans la gestion des détenus basques et corses. Mme Taubira répond que des signalements étaient faits à la DGSI par le renseignement pénitentiaire mais qu’il y avait peu de retours. « Ce sont des cultures différentes » explique-t-elle et concède qu’il y a « incontestablement besoin d’améliorations ». Sur le non rapprochement, les visites au parloir difficiles de la famille et même des avocats, le fait que le statut de DPS n’interdisait pas le rapprochement, et était pourtant toujours invoqué pour l’empêcher, la ministre répond « vous avez raison ». Hélas, pour tous les acteurs qui auraient pu agir en son temps, ce constat vient trop tard.
Stéphane Bredin, préfet de l’Indre, est auditionné au titre de ses anciennes fonctions de directeur de l’administration pénitentiaire, concernant le parcours carcéral de Franck Elong Abé, la gestion de la détention d’Yvan Colonna et les demandes de levée des statuts DPS. Il exprime sa « stupeur » face aux faits et la manière dont ils se sont déroulés « dans une maison centrale sécuritaire ». Il confirme ainsi que Franck Elong Abé était parfaitement connu de l’administration pénitentiaire par « son parcours parsemés d’incidents graves voire très graves » et par « l’attentat du 5 mars 2019 à Condé-sur-Sarthe » qui a « gravement perturbé le fonctionnement du quartier d’isolement et du quartier disciplinaire ». Interrogé sur le traitement des DPS, M. Bredin assure n’avoir jamais eu d’instructions ou de consignes et dénie l’approche politique. Il assume sa position concernant la levée du statut en décembre 2020 pour Pierre Alessandri et Alain Ferrandi et invoque pour se justifier : le constat de leurs liens avec « la mouvance terroriste corse » du fait des raisons de leur condamnation, le fait que leur libération « causerait un trouble exceptionnel à l’ordre public », et « la gravité des actes » qui justifie la détention en maison centrale. Invoquant pour cela la décision du Conseil d’État en 2018.
Évidemment Jean Félix Acquaviva souligne la contradiction de ces arguments, concernant « le fumeux trouble à l’ordre public », leur parcours en détention exemplaire, l’éventualité qui n’en est pas une de l’évasion, les décisions favorables à plusieurs reprises de la commission locale pour la levée de ce statut… « maintenant l’histoire est passée, leur projet de semi-liberté a été accepté, je serai tenté de dire, tout ça pour ça ! » se désole le président. Il rappelle la fausse réunion et les faux documents produit par l’administration pénitentiaire pour justifier encore le maintien de ce statut. Même chose sur la vraie fausse tentative d’évasion invoquée pour Yvan Colonna. Et le fait que des discussions politiques entre élus corses et gouvernement préparaient un transfert au centre de détention de Borgu.
Mme Amiot, membre de la commission, interpelle sur les raisons justifiant le maintien du statut DPS qui reviennent à l’octroyer « à vie », « jusqu’à la fin de la détention ». Elle s’interroge sur l’utilité de « la simple existence des commissions d’évaluation si on se base sur des arguments qui sont inamovibles ». « Je ne veux pas croire qu’il s’agisse d’un théâtre » ajoute la députée France Insoumise. M. Bredin fait la nuance entre les DPS « en général » et les membres du commando Erignac. Un aveu implicite qu’il y avait là une gestion politique de ce statut pour Pierre Alessandri, Alain Ferrandi et Yvan Colonna…
Mme Amiot insiste sur l’aggravement de peine qui n’est pas prononcée par un juge. Si cette restriction de liberté peut s’entendre dans le cas de dangerosité d’un individu, elle dénonce le fait qu’un détenu soit condamné à perpétuité à garder ce statut et voir ainsi sa peine aggravée.
« Sauf votre respect, je ne partage pas du tout votre raisonnement » dit M. Bredin cynique dans son analyse qui défend le droit de l’administration pénitentiaire de prendre ces mesures sans passer par un juge (sic). « L’inscription au registre DPS ce n’est pas du tout comme ça que c’est conçu. C’est imposer à l’administration une surveillance particulière de ces détenus » dit le préfet. Une mise au point qui fait mal, puisque dans le cas précis, si ce statut a empêché le rapprochement familial, particulièrement à Yvan Colonna, il n’a pas assuré la surveillance nécessaire qui lui aurait permis d’échapper à la mort en prison.
Même argument contradictoire concernant le traitement de Franck Elong Abé. Le préfet parle de création récente des QER à l’époque, d’absence de cadre juridique, de « régime de détention restrictif, contesté »… et pourtant, la doctrine était de ne pas orienter en QER les détenus terroristes les plus dangereux puisqu’ils étaient déjà identifiés ! C’était le cas de Elong Abé. Il cite sa radicalisation certaine, sa dangerosité, son instabilité, son comportement violent contre les autres et contre lui-même. Raison pour laquelle il est envoyé à Arles. On a vu par la suite qu’il n’y avait pas de prise en charge particulière à Arles non plus, puisque la politique était au contraire de le préparer à la sortie… en le mettant en situation de vie ordinaire. Dans de longs exposés M. Bredin essaie de justifier tous ces bons choix. Il est pourtant contredit par l’amère réalité de leurs conséquences.
Enfin, l’audition du gardien affecté à la surveillance le jour des faits. Celui-ci a réitéré ne pas se souvenir de ce qu’il avait fait. Jean Félix Acquaviva a commenté auprès de notre confrère Via Stella cette audition qui s’est déroulée à huis clos : « il a indiqué à la commission que lorsqu’ils ont voulu – le syndicat et l’agent – avoir accès à l’ensemble des secteurs concernés de déambulation y compris de Franck Elong Abé et de sa déambulation propre, ils n’y ont pas eu accès parce que la vidéo avait été détruite en août. Je n’ose croire que l’ensemble des vidéos aient été détruites. Je pense qu’il y en a une partie au moins qui a été conservée. Mais si une partie a été détruite aussi, ça poserait problème ».
On se souvient qu’un communiqué de l’Ufap-Unsa Justice dénonçait le 8 septembre dernier la destruction de ces vidéos pouvant « innocenter professionnellement » l’agent sanctionné. Si cela est avéré, c’est effectivement un nouvel élément plus que troublant. •