"Affaire Colonna"

Frattura

Un fossé se creuse chaque jour un peu plus entre la Corse et Paris. Dans les interprétations, dans les mots, dans les fermetures ou les choix qui s’opèrent, autant de lignes de fracture que « l’affaire Colonna » met en relief.

 

 

15.000 manifestants selon les organisateurs, 4500 selon la police. La presse a coupé la poire en deux en annonçant le chiffre de 10.000. C’est déjà énorme. Et la réalité nous rapproche bien plus des 15.000. Lorsque la manifestation atteignait la barrière anti-émeute dressée par les CRS au niveau du rond-point de la mairie, la queue de manifestation se perdait bien au-delà du collège Pasquale Paoli et du pont de la Restònica. Pour qui connaît Corti et a pu constater à quel point la foule était dense, il suffit de faire le calcul pour se rendre compte que les manipulations de l’information ne sévissent pas qu’en Russie. Cette volonté de minimiser, et finalement nier, est un premier signe du refus de reconnaître ce qui est pourtant un problème politique majeur. Rien de durable et de serein ne pourra se bâtir en Corse si sa reconnaissance n’est pas actée d’une façon ou d’une autre.

 

L’envie d’en découdre, de part et d’autre. L’émotion s’est mue en colère du côté de la Corse qui ne peut comprendre ni le refus d’accorder le droit au rapprochement, ni les faits tels qu’ils se sont déroulés, ni l’absence de déclaration d’apaisement du côté du gouvernement, voire l’absence de déclaration tout court. Un mépris qui n’est pas toléré dans l’île.

De toute évidence, de la part de l’État et de ses forces de l’ordre l’envie de sévir était aussi sans retenue : la manifestation n’a pu aller à son terme, et la foule n’a pas eu le temps de se masser entièrement sur le cours Paoli, que déjà les premiers tirs de grenades lacrymogènes étaient déclenchés simultanément aux tirs de projectiles de manifestants.

Bilan : 25 blessés contre 4, qui dit toute la violence des affrontements mais aussi le déséquilibre des forces en présence entre une jeunesse révoltée et l’appareil d’État, armés de LBD à tirs tendus…

 

Aucun appel de la part du gouvernement auprès du Président du Conseil Exécutif de Corse, ne serait-ce que pour prendre le pouls de la situation, envisager ensemble comment calmer la tension provoquée par cette volonté d’assassinat. C’est une attitude irresponsable qui traduit l’état d’esprit de Paris vis-à-vis de la Corse.

 

8 minutes (information du parquet), c’est le temps qu’a duré la tentative d’assassinat sur Yvan Colonna. Auxquelles il faut ajouter encore 3 longues minutes avant que les premiers massages cardiaques soient prodigués (source pénitentiaire). 8 minutes où l’on a laissé s’acharner un détenu sur un autre sans réagir, malgré la présence, physique ou par vidéo, de plusieurs surveillants. Comme si on avait voulu s’assurer de son décès, n’intervenant qu’une fois que l’agresseur était sorti de la salle. Puis 3 minutes encore avant de prodiguer les soins d’urgence. D’ailleurs, sa mort cérébrale a été annoncée comme pour rattraper la première annonce intempestive de son décès, alors qu’Yvan était toujours en vie et qu’il n’était pas dans ce point de non-retour. A-t-on voulu se débarrasser de ce détenu gênant alors qu’il est désormais « conditionnable » ? C’est ce que pensent les Corses et il faudra d’autres déclarations que celle du procureur Ricard pour les convaincre que cette affaire est un crime djihadiste et ne relève pas de la « raison d’État ».

D’autant, ne l’oublions pas, que tout le parcours judiciaire d’Yvan Colonna trahit cette « raison d’État ». De sa mise en cause bafouant le droit à la présomption d’innocence par la justice, puis par le Président de la République Nicolas Sarkozy (ancien avocat) lors de son arrestation, aux accusations des membres du commando et de leurs épouses arrachées sous la pression en garde à vue, leurs rétractations non prises en compte, les fausses preuves fabriquées, le témoin visuel non pris en compte, le refus de reconstitution, arrachée au terme de trois ans, trop tard pour revenir sur les convictions des juges, la balistique qui ne parvient pas à le mettre en cause, son emploi du temps qui ne colle pas avec les accusations, ses déclarations permanentes, répétées durant 20 ans : « je n’ai jamais tué personne ». Ses longs mois de mises à l’isolement, sans voir ses enfants, sa famille, le refus obstiné de lui accorder son droit au rapprochement… Yvan Colonna a été traqué durant toute sa détention. Il a été condamné à mort par l’État qui n’a jamais eu l’intention de le voir sortir de prison vivant. A Corsica chede ghjustizia è verità. •

Fabiana Giovannini.