Aiacciu, jeudi 10 mars. L’intervention de Denis Luciani pour empêcher l’arrachage de l’olivier planté à l’endroit où le préfet Erignac a été abattu a été un instant marquant. Face à des manifestants qui avaient réussi à s’emparer d’une mini-pelle sur un chantier avoisinant, il a opposé toute son énergie pour les convaincre de ne pas aller au bout de ce projet qui ne pouvait que compromettre le soutien du peuple corse à leur cause.
Les lycéens grévistes ont fini par écouter le président de l’Associu di i Parenti Corsi et ont rebroussé chemin. Cela a permis de préserver le soutien considérable que le mouvement reçoit parmi les Corses, alors qu’une profanation inutile aurait durablement entamé son crédit.
Bastia, samedi 12 mars. Les images de jeunes gens, prêts à en découdre avec les forces de l’ordre, traversant une foule qui leur ouvre le passage et les soutient, restera sans doute le symbole le plus marquant des événements en réaction à l’agression contre Yvan Colonna.
Plus que le déluge de projectiles et d’engins incendiaires contre les CRS et les gardes mobiles, cette image résume l’état d’esprit du peuple corse. Il comprend la révolte qui s’exprime, tout en s’inquiétant pour ces jeunes qui vont affronter les flashballs et les grenades de désencerclement qui pourraient en blesser plusieurs. Aussi ils sont des milliers à rester là, des heures durant, en soutien, en secours immédiat, et en rempart aussi contre des assauts policiers violents.
Leur présence a aussi eu pour effet de raisonner les manifestants, au moins à deux reprises, quand deux policiers en uniforme et en civil sont tombés aux mains des manifestants qui avaient commencé à les rouer de coups En mettant fin par leur intervention à ce début de lynchage, ils ont mis de la mesure là où .les conséquences négatives de ces excès étaient à craindre.
Paris, lundi 14 mars. Le communiqué officiel du gouvernement a probablement été rédigé avant la manifestation de Bastia dont les violences étaient largement attendues. Le gouvernement a enfin nommé un « Monsieur Corse » en la personne du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Sa communication semble prendre la mesure d’une situation très tendue, tension qui ne pourrait qu’aller crescendo demain, surtout si l’état de santé d’Yvan Colonna évoluait défavorablement comme on peut malheureusement le craindre.
Mais, après cinq années de déni politique au sommet de l’État, les mots du ministre sont sujets à caution. « Un dialogue sans précédent » est annoncé ; mais cette formule pourrait bien être que l’expression d’une emphase. D’autant que le communiqué se conclut par l’évocation d’une « évolution de la Corse dans la République, comme le prévoit la Constitution ». Ce qui renvoie à une « normalité constitutionnelle » dont on sait qu’elle ne manquera pas de censurer toute évolution institutionnelle un tant soit peu ambitieuse.
Paris, lundi 14 mars. Ils sont dix députés autour de Jean Félix Acquaviva, Michel Castellani et Paul-André Colombani. Plusieurs groupes sont représentés, et ces élus s’engagent pour contribuer au déblocage de la situation. L’un d’eux, élu de Paris, fustige « cinq années de rendez-vous manqués » ; une autre, élue elle aussi en région parisienne, prévient : « si l’on entend pas les souffrances, les besoins essentiels de reconnaissance, ce sera le début d’un torrent qui risque de s’amplifier » ; un autre, élu dans le centre de la France : « Au sein même de l’État, il est des forces obscures qui ont abouti à ce qu’une solution ne soit pas envisageable sans qu’il n’y ait une tragédie ».
Ceux-là ont compris. Que faire pour qu’ils soient enfin entendus par tous les autres ? •