Rejet de la demande de semi-liberté de Pierre Alessandri

Nouvelle crise politique entre la Corse et Paris

La énième demande d’aménagement de peine de Pierre Alessandri, conditionnable depuis cinq ans, vient à nouveau d’être rejetée. Ce n’est pas la première fois que cette demande acceptée en première instance, est rejetée suite à l’appel du Parquet antiterroriste de Paris, c’est-à-dire directement à la demande du gouvernement. Cette décision contraire au droit français, totalement injustifiable au regard du dossier, prononcée sur un prétexte de « trouble à l’ordre public », repose en réalité sur une vengeance d’État et ouvre une nouvelle crise politique entre Paris et la Corse. Quand en sortirons-nous ?

 

 

Le système judiciaire français est depuis longtemps un outil qui sert à faire monter ou descendre la pression, à créer ou raviver des tensions, à détourner l’attention de la population, voire à l’abuser, et en l’espèce aujourd’hui à saborder un processus de négociations dans lequel l’État, il faut bien se l’avouer, est entré contraint et forcé !

Dans l’affaire dite Erignac, cet arme répressive a sévi dès le début, face à l’impuissance de l’armada policière mobilisée, empêtrée dans une guerre des polices, il a ciblé tous les Corses décrétés « peuple préféticide », par des centaines d’arrestations tous azimuts, il a fabriqué de fausses preuves pour justifier ces arrestations, placé des sacs d’explosifs dans la propriété de Mathieu Filidori avant qu’elle ne soit perquisitionnée pour l’incriminer, jetés en prison des innocents durant des mois dans la piste dite « agricole », levé la mise en examen seulement 20 ans plus tard. Il a falsifié des procès-verbaux d’audition comme pour Vincent Andriuzzi et Jean Castela innocenté en appel ! Il a sévi encore au moment de la fuite d’Yvan Colonna qui savait qu’on l’avait condamné d’avance. Son nom a circulé médiatiquement avant même qu’il ne soit inquiété. Une commission sénatoriale, le procureur de la République Jean Pierre Dintilhac, puis le ministre de l’Intérieur Jean Pierre Chevènement, ont bafoué la présomption d’innocence, la presse abusée (France Soir) a titré pleine page sur sa photo « Wanted tueur de préfet »

Lors de son arrestation, le futur Président de la République, alors ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, pourtant avocat de formation, s’est encore joué de la présomption d’innocence en proclamant tout émoustillé : « la police française a arrêté Yvan Colonna, l’assassin du préfet Erignac » !
Par la suite, victime d’une instruction à charge alors qu’il proclamait son innocence de manière répétée, les preuves à décharge n’ont pas été prises en compte, des pressions ont été exercées sur des témoins, les incohérences des accusations n’ont pas été relevées, la reconstitution a été systématiquement refusée, puis s’est déroulée dans un simulacre sans les principaux acteurs et seulement au troisième procès, bien trop tard pour battre en brèche une culpabilité décrétée. Il fallait un coupable. Et il fallait surtout qu’il ne sorte pas de prison. Yvan Colonna est mort dans des circonstances « atroces et suspectes » a rappelé le président du Conseil Exécutif. Sept mois après, toujours pas de justice ni de vérité pour Yvan Colonna.

Durant la détention de Alain Ferrandi, Pierre Alessandri et Yvan Colonna, le système judiciaire a encore sévi pour leur interdire le rapprochement en Corse de manière indigne et contraire vis-à-vis du droit international comme du droit français.
Depuis cinq ans Alain Ferrandi et Pierre Alessandri peuvent bénéficier d’un aménagement de peine.  Cinq ans. Leur libération partielle n’est pas une outrance, encore moins une faveur. C’est le droit tel qu’il doit s’appliquer, tel qu’il s’applique systématiquement pour tout détenu, y compris pour les condamnés pour terrorisme islamiste.

 

Ce nouveau rejet provoque une crise dans le cadre du processus de négociation sur l’avenir de la Corse.
L’Ora di u Ritornu dénonce une « décision inique, funeste, dévastatrice qui nous plonge dans une profonde révolte », « une vengeance d’État orchestrée », et appelle les élus à suspendre les discussions avec le gouvernement.
Femu a Corsica dénonce le « double jeu de Paris, entre ouverture et mépris » et « demande à ce que la politique de vengeance cesse enfin » (voir en p.5).
Core in Fronte suspend sa participation au processus de négociations : « ce n’est pas une décision de justice qui a été rendue mais une décision d’État instrumentalisée par le Parquet ».
Corsica Lìbera « demande solennellement à l’ensemble de la classe politique (…) de reporter leur présence à ces discussions jusqu’à la libération de tous les prisonniers politiques ».
Le PNC s’indigne également : « nous ne comprenons plus. Et avec sérénité, et détermination, nous n’accepterons pas ».

La Conférence des Présidents de l’Assemblée de Corse qui regroupe le président du Conseil Exécutif, la présidente de l’Assemblée et les présidents de tous les groupes, majorité et opposition, nationalistes ou non nationalistes, dénonce une décision « incomprise et injuste », « incompréhensible en sa motivation ». Les élus considèrent que ce refus d’appliquer le droit « contrevient à la logique d’apaisement qui conditionne le bon déroulement et la réussite du processus de négociation engagé entre la Corse et l’État ». « Il appartient au gouvernement, dit encore la Conférence des présidents, de recréer rapidement les conditions politiques d’un dialogue serein et de la confiance réciproque ».
La session de l’assemblée a été interrompue « en signe d’indignation solennelle ».

La Cour de Cassation est saisie. L’État reste silencieux. •

F.G.