Au lendemain des élections législatives, le président du Conseil Exécutif de Corse, Gilles Simeoni, fait le point de la situation politique. Interview.*
Votre sentiment après ce scrutin législatif qui a vu reconduire les trois députés nationalistes ?
C’est une satisfaction, l’objectif était dans un contexte difficile de reconduire au moins nos trois députés. Nous avons essayé, en ce qui concerne la majorité territoriale, de créer les conditions optimales, notamment en ne présentant pas de candidat dans la circonscription du député sortant, Paul André Colombani, et en appelant très clairement à le soutenir. Trois députés réélus, il a failli y en avoir quatre, avec une campagne exceptionnelle de Romain Colonna et sa suppléante Cecilia Costa, et un score tout à fait remarquable qui permet de préparer l’avenir dans cette circonscription. L’enjeu c’était que la Corse soit représentée et défendue à Paris par ses députés nationalistes, surtout dans le contexte du processus de négociation. Cet objectif est atteint.
La campagne a été rude, notamment dans la seconde circonscription de Haute-Corse et les divisions nationalistes ont pesé partout dans l’hostilité affichée par Corsica Lìbera et le PNC durant le premier tour, puis par des appels à l’abstention au second tour…
En ce qui concerne Fà Pòpulu Inseme et Femu a Corsica, l’attitude a été clairement différente. C’est un choix politique, quels que soient les désaccords, nous avons considéré qu’il fallait un vote patriotique au deuxième tour pour permettre la représentation nationaliste la plus large possible. Cette option a d’ailleurs été partagée par Core in Fronte qui n’est pas dans la majorité territoriale. Ce que je retiens, c’est que beaucoup de nationalistes, y compris qui soutiennent le PNC ou Corsica Lìbera, ou qui ne soutiennent aucune organisation, ont voté au deuxième tour de façon naturelle. Ceci étant, je crois que nous devons réfléchir, et je vais essayer de créer les conditions pour que cette réflexion commune soit la plus productive et la plus efficace possible. Au moment où va s’ouvrir une phase déterminante dans la discussion avec l’État, la responsabilité de tous les nationalistes c’est de rechercher la convergence dans la clarté du projet et des valeurs qui sont les nôtres.
Les fractures des territoriales 2021 sont toujours là…
Si nous n’avons pas été ensemble à ces élections territoriales, ce n’est pas parce que Femu a Corsica a rompu le contrat Pè a Corsica par volonté d’hégémonie, comme le disent certains de nos anciens partenaires. Nous avons fait la démonstration que nous étions dans la volonté permanente de partager les responsabilités. Il y avait un certain nombre de désaccords et j’ai dit clairement, y compris devant les Corses, où nous voulions aller en termes de projet, de valeurs, d’éthique, de vision politique, de convergence entre tous les nationalistes, et de convergence entre Corses, y compris celles et ceux qui ne sont pas nationalistes mais qui veulent construire ce pays, et avec lesquels nous partageons l’essentiel. Cette ligne stratégique continue et continuera d’être la nôtre. Et je note d’ailleurs que, portée par nos candidats, notamment par Romain Colonna et Cecilia Costa, elle a failli conduire à la victoire dans la première circonscription de Corse du Sud. Donc réaffirmation de cette ligne stratégique de convergence validée très largement par les Corses en juin 2021. Et de la même façon, volonté de ne pas se laisser enfermer dans une spirale de conflits ou de désaccords.
Mais ce climat d’hostilité entre nationalistes ne va-t-il pas nuire dans les discussions avec Paris ?
Nous combattons un système qui est historiquement le système claniste et clientéliste, et nous combattons la politique de l’État lorsqu’elle méprise les élus de la Corse, et surtout le peuple corse et ses intérêts collectifs. Nous n’avons pas d’autres adversaires et nous n’avons pas d’autres ennemis. La première des priorités aujourd’hui, au lendemain de l’élection législative, avec un résultat extrêmement positif pour les idées que nous défendons, c’est de dire mettons-nous autour d’une table, discutons sur le message que nous voulons faire passer à Paris et sur les revendications que nous voulons porter dans le cadre du processus, au plan institutionnel et de l’autonomie, et aux plans économique, social, culturel. Ça passe par un dialogue entre nationalistes, ça passe également par un dialogue avec l’ensemble des forces de progrès.
Ce processus de négociation justement, quand va-t-il débuter ?
C’est une interrogation majeure. La situation politique en France est extrêmement inquiétante, le spectre d’une France ingouvernable, au-delà même de la composition de l’assemblée nationale, est en train de se concrétiser. On est en train de toucher de façon générale les fruits amers d’une politique qu’en Corse nous avons subi pendant cinq ans. Une politique de mépris, de refus de prise en compte du suffrage universel, de refus de dialogue. Cela a conduit à la situation d’un pays fractionné. C’est embêtant pour la France, notamment dans le contexte européen et international avec le risque de crises majeures dans tous les domaines. Et c’est inquiétant bien sûr dans la relation entre la Corse et l’État. Ce que j’espère, c’est que par-delà les difficultés il y aura à Paris une volonté majoritaire non seulement au sein du gouvernement, à l’Élysée, qui reste le premier décisionnaire, mais également au sein de l’assemblée nationale où un certain nombre de forces sont désormais représentées de façon importante, je pense notamment à la Nupes. Je continue d’espérer qu’il y aura suffisamment de lucidité pour dire de façon claire que la logique de conflit doit céder la place à la logique de dialogue, pour la construction d’une solution politique. Il n’y a pas d’autre issue à la question corse. Et la responsabilité qui est la nôtre, à nous nationalistes, et à nous élus de la Corse, quelle que soit notre sensibilité, c’est de créer les conditions pour que ce dialogue s’installe et pour que ce processus réussisse.
Quel pourrait être le contenu de l’autonomie de la Corse discutée à Paris ?
L’autonomie de plein droit et de plein exercice, au plan du contenu institutionnel, de sa portée juridique, a pour nous une signification très précise. Là où il faut que nous soyons forts, la responsabilité des nationalistes au premier chef, est de s’entendre sur la revendication institutionnelle que nous allons défendre sans nous laisser enfermer dans un débat technique. Mais la question corse et la solution politique globale que nous voulons construire ne s’arrêtent pas à l’aspect institutionnel. Nous avons pris l’initiative de la conférence sociale, la question du pouvoir d’achat est centrale. Nous devons être forts et unis face à Paris.
Justement, sur la question du pouvoir d’achat, quelles sont les conclusions de la Conférence sociale qui s’est tenue le 24 juin à Aiacciu à propos de la future loi sur le pouvoir d’achat ?
Les problématiques sociales et économiques de la Corse appellent des réponses structurelles qui ont vocation à être débattues dans le cadre du processus de négociation. Les participants de cette conférence ont adopté à l’unanimité plusieurs propositions d’adaptation aux mesures prévues par le gouvernement :
– valeur du chèque alimentaire à porter de 150 euros à 300 euros en Corse, et d’en élargir le public en rendant éligible toute personne vivant en dessous du seuil de pauvreté.
– maintien du caractère général de la mesure de majoration de la prime carburant à hauteur du différentiel moyen constaté en Corse (10 cts par litre) jusqu’à la mise en place d’un dispositif spécifique, demandé par l’Assemblée de Corse le 1er octobre 2021.
– doublement de l’augmentation des retraites prévues pour être indexées sur l’inflation (portant le chiffre à 10 %) afin de tenir compte de l’exposition particulières au difficultés financières des retraités corses.
– augmentation du plafond d’exonération des charges et contributions sociales de la prime de transport, à hauteur de 300 euros pour la période 2023-2025, et que la législation permettant de majorer les exonérations de cotisations des entreprises situées en Corse soit enfin appliquée, conformément à la loi de 2002 relative à la Corse.
Ces propositions feront l’objet d’un rapport du Conseil exécutif soumis au vote de l’Assemblée de Corse lors de la session des 29 et 30 juin. Les parlementaires relaieront ces demandes dans le cadre des débats à venir.
Quid de la colère qui s’est emparée de la rue en mars dernier ?
Nous sommes dans l’attente de la reprise du processus de négociation autour des thèmes développés, notamment celui de la libération des prisonniers et de la justice et la vérité pour Yvan Colonna. Et nous attendons que le rapport intermédiaire qui devait être communiqué le soit effectivement. Au jour d’aujourd’hui nous n’avons plus eu aucune information, c’est pour nous un sujet à la fois d’inquiétude et de mécontentement. Mais au-delà de cette question qui est une question essentielle, pour toutes les raisons humaines, politiques et symboliques que vous imaginez, il y a une question centrale : est-ce que le gouvernement et l’État sont décidés oui ou non à aller sur le chemin de la réussite de ce processus à vocation historique selon la formule que nous avons cosignée par écrit avec Gérald Darmanin ? •
* Extraits tirés de diverses sources médiatiques.