Le « Rapport sur l’évolution institutionnelle de la Corse », commandé par le Président du Conseil Exécutif à Wanda Mastor, professeur agrégée de droit public à l’Université Toulouse-Capitole, a pour objet de servir de base à une nouvelle « table de dialogue » entre l’État et les Institutions de la Corse. Ce rapport récapitule l’ensemble des points à faire avancer pour aller vers une autonomie de la Corse, avec reconnaissance du peuple corse. Reste à espérer que l’État, ses gouvernants d’aujourd’hui ou de demain, sortiront des postures de refus qui sont les leurs depuis le début de l’actuel quinquennat d’Emmanuel Macron.
Le rapport de Wanda Mastor comporte plusieurs éléments aptes à faire comprendre les conditions d’un dialogue institutionnel à venir, à commencer par le témoignage de Pierre Joxe qui pilota en 1990-91 en tant que Ministre de l’Intérieur, sous l’autorité de François Mitterrand, Président de la République, et de Michel Rocard, Premier Ministre, ce qui est l’actuel fondement du statut de la Corse.
Il commente : « Je vous mets en garde sur des “évidences” qui en réalité ne le sont pas. (…) ce qui vous paraît évident, ainsi qu’à moi, ne l’est absolument pas sur le continent. Quand vous répétez souvent que “le moment est venu”, que les arguments permettant l’autonomie sont “implacables”, vous ne prenez pas la mesure de l’ignorance de la question Corse (…) attention à ne pas évoquer des évidences à des gens qui ne les ressentent pas. Mieux vaut s’attacher à des arguments techniques. »
La toile de fond du débat est donc posée à travers le témoignage de celui qui fut de longues années membre du Conseil Constitutionnel, après en avoir été la victime en tant que ministre. La censure par le Conseil Constitutionnel en 1991 de sa proposition de reconnaître le « peuple corse, composante du peuple français, car l’existence du peuple corse était (pour lui) une évidence historique, culturelle et sociologique » a marqué l’Histoire des relations entre la France et la Corse. Il explique : « Neuf personnes se sont opposées à la volonté de la majorité des représentants de la Nation qui n’avaient fait que consacrer juridiquement une réalité historique. Quand je suis devenu membre du Conseil Constitutionnel, on m’a reproché d’avoir à l’époque critiqué cette décision. Mais c’était vraiment légitime. »
Le contexte « français » étant ainsi posé, le rapport de Wanda Mastor récapitule les propositions aujourd’hui sur la table, pour intégrer dans le titre XII de la Constitution, qui traite des « collectivités territoriales » (articles 72 à 75-1), une « Collectivité de Corse » qui soit à la fois une autonomie territoriale insulaire et la représentation légitime du peuple corse.
Sa première proposition (n°13) consiste à modifier l’article 72-3 qui dresse la liste de ceux qui sont du ressort de la République française. Cet article énonce actuellement : « la République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. »
La proposition de Wanda Mastor est de le faire évoluer ainsi : « La République reconnaît, en son sein, les populations d’outre-mer et le peuple corse, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité. »
Ainsi arriverait-on à une « reconnaissance constitutionnelle du peuple corse », revendication de base de l’autonomisme corse depuis les années 70.
La « porte d’entrée » du peuple corse dans la Constitution se ferait donc dans le sillage des « populations d’outre-mer », ce qui suggère de rapprocher la Corse des statuts en vigueur dans l’Outre-Mer. Or la Corse n’est pas une « Région Ultra-Périphérique » selon l’appellation européenne retenue pour l’Outre-Mer français, les îles atlantiques du Portugal et de l’Espagne, ou les dépendances néerlandaises des Caraïbes. Elle est au cœur de l’espace européen, comme le sont la Sardaigne, les Baléares ou la Sicile. Mais la France, en dehors de son Outre-Mer, traité dans les articles 73 et 74 de la Constitution, ne connaît qu’une réalité régionale uniforme, celle de l’article 72 qui traite du territoire métropolitain.
Problème additionnel : le contenu de l’article 73 ne fait que permettre une « adaptation » des lois et règlements sans plus de portée que ne l’aurait un nouvel « alinéa corse » au sein de l’article 72, le 72-5, ce qui avait été approuvé par l’Assemblée de Corse quand il était encore question d’une réforme constitutionnelle sous la présidence d’Emmanuel Macron.
L’article 74 envisageant une compétence législative pour les territoires concernés, la rédaction d’un article 74-2 consacré à la Corse permettrait d’obtenir une autonomie législative sans les pesanteurs qui pèsent sur les collectivités éligibles aux article 73 et 74.
Aller plus loin a été possible pour la Nouvelle Calédonie. À la suite des accords de Nouméa, il a été ajouté à la constitution, suite au referendum lancé par Michel Rocard, le titre XIII qui lui est entièrement consacré et qui prévoit un referendum d’autodétermination selon un processus actuellement en cours. Un nouveau titre XIII bis de la Constitution ouvrirait une voie équivalente pour la Corse.
C’est dans cette fourchette de possibilités que pourrait surgir la modification constitutionnelle qui encadrerait, pour les générations qui viennent, un nouvel avenir pour la Corse dotée d’une autonomie de plein droit et de plein exercice.
Face à l’obstination jacobine de l’État, décrite par Pierre Joxe, le peuple corse oppose une volonté démocratique indiscutable, appuyée sur une longue période de domination de la vie politique insulaire par le mouvement nationaliste, depuis décembre 2015, et jusqu’à 2028. Compte tenu de toutes les situations comparables existantes de régions insulaires autonomes en Europe, une telle force de la proposition politique issue de la représentation légitime du peuple corse est incontournable. Refuser d’en discuter serait nier les bases-mêmes d’une Europe démocratique.
Avec qui ? Dans quel nouveau contexte politique au lendemain des échéances de 2022 ? Cette négociation essentielle est à engager au plus vite. •