Le 30 juin dernier, les résultats du premier tour des Législatives en ont surpris plus d’un. Les quatre candidats du Rassemblement national se qualifient pour le second tour du scrutin, en tête pour deux d’entre eux. Ces mêmes candidats s’étaient illustrés lors des débats de l’entre-deux tours par leur méconnaissance des sujets corso-corses et plus généralement par leur impréparation concernant des thématiques courantes. Énergie, pouvoir d’achat, autonomie de la Corse, les candidats du Rassemblement national ont fait la démonstration de leur faible connaissance des enjeux locaux et nationaux. Cependant, ce sont les origines de ces candidats d’extrême droite qui ont alimenté les discussions dans les différents camps politiques.
Trois de ces candidats sont continentaux, l’un d’entre eux n’habite même pas la Corse à l’année. Malgré tout cela et profitant du « vote Bardella », les scores du Rassemblement national ont fortement augmenté depuis 2022 marquant la possible fin de la « dénationalisation du politique » en Corse analysée par le politologue André Fazi en 2017. Cette élection s’inscrit alors dans la « dynamique Bardella » aux élections européennes ayant porté le Rassemblement national en tête en Corse avec 40,8 % des voix, neuf point au-dessus de la moyenne nationale.
Accusant le coup du score historiquement haut des « candidats qui dorment à l’hôtel », les chefs de file nationalistes soulignent lors de leurs différentes interventions médiatiques que les arrivées continentales sont en partie responsables du vote Rassemblement national sur l’île. En 2022, alors que Marine Lepen signe son score le plus haut de France métropolitaine en Corse, Battestini et Hublet (Le Grand Continent, 2022) analysent l’hypothèse d’un vote continental. Les flux de familles de France continentale désormais installées en Corse ou y possédant une résidence secondaire feraient monter le score du Rassemblement national aux élections nationales sans avoir d’effet aux élections locales. Tout en alertant sur la difficulté de définir les contours de l’électorat dit « continental », l’étude Battestini-Hublet conclut au poids important de ce vote dans le vote Rassemblement national. Une nuance est tout de même apportée : « il est plus prudent d’avancer que le vote Le Pen est principalement le fait de personnes désengagées de la politique régionale », continentales ou non donc.
Les élections législatives de 2024 ont donc vu s’inviter les clivages politiques nationaux sur la scène politique insulaire et se sont inscrites comme un « troisième tour » des présidentielles, phénomène absent en 2022 pour un scrutin habituellement marqué par les enjeux locaux. Pour preuve de l’importance de l’enjeu national dans ce scrutin, les faibles scores de notre extrême droite locale représentée par des mouvements comme Mossa Palatina, pourtant représentée par des corses, qui n’a pas dépassé les 5 %.
Une première analyse géographique du vote Rassemblement national lors de ces élections en Corse peut alors être faite. Dans la première circonscription de Haute-Corse le candidat Rassemblement national doit en grande partie son score aux communes au sud de Bastia comme Biguglia, Lucciana et Borgu. C’est également le cas dans la première circonscription de Corse-du-sud où le Rassemblement national capitalise les voix de Sàrrula Carcupinu ou encore Afà. Dans le Centre, les scores de Balagna et d’importantes communes de la plaine qui concentrent aussi le gros des inscrits de cette circonscription, ont influé indéniablement sur les résultats du scrutin.
Même si la « dynamique Bardella » a pesé partout, y compris dans les villages les plus reculés où ne se pose aucune problématique soulevée par le RN, de manière générale, le Rassemblement national fait des scores très importants dans des communes du littoral proches des pôles urbains ou dans les communes périurbaines. Or ce sont ces agglomérations qui concentrent l’immense majorité de ces nouveaux arrivants et participent à un phénomène de périurbanisation.
En attendant des études plus détaillées sur l’origine du vote Rassemblement national aux législatives en Corse, l’hypothèse d’un vote continental ayant porté des candidats non-corses questionne le projet politique nationaliste. Dans la suite des autonomistes de l’Union du Peuple Corse (héritiers de l’ARC), le 31 janvier 1988 lors de son congrès, le FLNC, en ayant pris acte de la machine démographique dans laquelle la Corse était lancée, popularise la notion de « Peuple corse communauté de destin » soit « les corses d’origine et d’adoption, sans considérations d’origines, de religion ou de couleur de peau ayant décidé de se fondre dans un avenir commun sur la terre de Corse ». Ce principe sera consacré dans une délibération de l’Assemblée de Corse le 13 octobre de la même année : « l’Assemblée de Corse affirme l’existence d’une communauté historique et culturelle vivante regroupant les Corses d’origine et les Corses d’adoption, le peuple corse ».
Et par la suite, le principe sera régulièrement réaffirmé au cours des évènements du nationalisme en Corse et par les différentes organisations comme le FLNC Union des anciens combattants ou encore Corsica Nazione Indipendente. Ce rejet de la xénophobie sera également confirmé par le nationalisme institutionnel sous la présidence de l’Assemblea par Jean-Guy Talamoni puis par Marie-Antoinette Maupertuis à partir de 2015.
Le début des années 2020 marque cependant des ruptures avec cette notion, tout d’abord par Core in Fronte qui rejette la conception de la communauté de destin liée à la résidence puis de façon beaucoup plus médiatisée par A Chjama Patriotta en janvier 2024. Les héritiers de Corsica Libera, par l’intermédiaire de leur porte-parole, assurent que « l’époque a changé ». Quelques semaines plus tard, Nazione alerte sur la « panne » de la communauté de destin et acte publiquement le divorce.
Si la remise en cause de cette définition du peuple corse était amorcée, ce sont les résultats de ces législatives qui ont provoqué un aggiornamento des forces politiques nationalistes. Ainsi, lors d’une conférence de presse tenue ce 4 juillet, Nazione propose la constitution d’un corps électoral corse, une disposition calquée sur le modèle de la Nouvelle-Calédonie, appelant à une nouvelle stratégie pour le mouvement national. Un sentiment post-élection et une solution partagée par Core in Fronte, en la personne d’un conseiller territorial qui craint « de futurs élus locaux, qui n’auront aucun lien viscéral, culturel, cultuel et patrimonial avec notre terre, qui ne connaissent rien à notre histoire et ne s’en préoccuperont même pas. »
L’exemple de la Kanaky nous donne un enseignement sur les effets de bords d’un corps électoral spécifique. Une colonisation de longue date n’a pas permis de constituer un corps électoral exclusivement composé de Kanaks, une problématique similaire serait rencontrée en Corse. Le dégel du corps électoral envisagé par le Gouvernement en 2024 montre que cette solution politique est précaire face aux alternances politiques, et amène à une situation de quasi-apartheid sur l’archipel.
Remettre en cause une définition ouverte du peuple corse nous conduirait à une situation communautariste mortifère.
Notre projet politique doit être global et ouvert. Il doit tout d’abord être géographique, en enrayant les mécanismes de périurbanisation et de concentration des nouveaux arrivants en menant une vraie politique de peuplement de l’intérieur grâce à des mécanismes fiscaux et du développement économique. Il doit également être culturel. Le militantisme culturel doit s’inscrire de façon plus ouverte en développant des initiatives comme Praticalingua ou Parlemu Corsu et en développant le tissu associatif. Notre projet doit également remettre la langue comme élément moteur avec la poursuite du projet Scola corsa et le développement de ses écoles associatives immersives sur le modèle des ikastola basques. La langue et la culture doivent être des piliers de cette politique qui vise à faire adhérer le plus grand nombre au projet national corse. Un projet politique qui doit aussi se fonder sur le retour des Corses sur l’île, en créant les conditions économiques favorables à l’endiguement d’une « fuite des cerveaux » qui participe au déclin démographique. De nombreux projets sur le modèle de Femu Quì ou d’Inizià doivent ainsi être développés. L’État français doit alors prendre ses responsabilités en menant à son terme le projet d’autonomie pour la Corse, qui permettra d’éviter le développement des logiques communautaristes de part et d’autre, en donnant à nos responsables politiques tous les outils permettant le développement pérenne de ces initiatives militantes. •