Pour un SAMU social corse

« Ne jamais lâcher le lien »

La coordination inter-associative de lutte contre l’exclusion (CLE) organisait ce mercredi 20 octobre à l’Espace Diamant d’Aiacciu un colloque pour répondre à la nécessité d’un SAMU social en Corse, en présence notamment du Docteur Xavier Emmanuelli fondateur du SAMU Social de Paris et du SAMU Social international, du Dr Stéphanie Boichot Geiger, médecin régulateur au SAMU de Paris, responsable d’une unité d’addictologie, de Thierry Couvert-Leroy, Délégué national de la Croix-Rouge, du Dr Sylvie Quesemand-Zucca, psychiatre, intervenante auprès des personnes sans abri, ainsi que de très nombreux acteurs locaux. Quatre heures de témoignages, d’échanges d’expériences, et de questions avec la salle, durant un débat rondement mené par Stéphane Usciati, journaliste à Fr3 Via Stella. Une plongée dans le monde de la précarité. La force de la CLE c’est la recherche de la mise en réseau. Justement, c’est de cela dont on a besoin pour connecter tous les acteurs potentiels d’un SAMU social !

 

Dans le plus grand silence, Jean Michel Tatin, addictologue, ouvre les débats par un témoignage poignant, sa propre plongée vers l’enfer. Une belle entreprise, une épouse, des enfants, et juste une « petite addiction »… Un jour, tout bascule, l’alcool prend le pas sur tout, la famille se disloque, il vend son entreprise, et passe de « l’opulence à la précarité », découvre l’exclusion, la rue, la solitude. Il sombre. Un « suicide inratable raté », « même la mort ne veut pas de moi » se désespère-t-il. Il a alors 44 ans. Mais ce témoignage effrayant est en réalité un message d’espoir. Jean Michel se décide à consulter et fait la bonne rencontre. Il va remonter peu à peu la pente en se faisant aider, renaît à la vie et s’engage à son tour. Aujourd’hui il anime une association qui dit tout cet espoir dans son nom : les Uns Visibles. Après 25 ans de bénévolat, il témoigne avec certitude comme un appel à tous : « Ne jamais lâcher. Chaque humain a droit à l’erreur. »

Autre témoignage tout aussi poignant, celui du combat d’une vie : le Dr Xavier Emmanuelli raconte comment est née le SAMU social de Paris, pour répondre à « l’urgence individuelle » au même moment où il répondait à « une urgence collective » en créant « avec des copains » Médecins Sans Frontière. « Comprendre la rue » où l’on plonge bien plus vite qu’on ne le croit, où l’on rencontre 30 % de problèmes psychiatriques lourds, la rue synonyme de nos faillites collectives. Son objectif ? « Aller à la rencontre », un devoir qu’il s’impose. Aujourd’hui l’exclusion est plus sournoise, prévient le Dr Emmanuelli, toujours aussi ému devant tant de solitude, de jeunes, de migrants, de gens sortant de prison… Il est en mission depuis plus de 30 ans pour « écraser la misère », et pour cela il confie que « la Corse peut être pionnière en inventant » ses propres moyens d’action. Un chantier immense mais ô combien exaltant, altruiste. « On ne peut pas ne pas aider son prochain » dit encore Xavier Emmanuelli, lui qui défia tous les scepticismes, au début des années 90, en créant les premières structures d’urgence.

 

Qu’est-ce qu’un SAMU social ? « Une mise en réseaux » qui déclenche l’action citoyenne. Le Dr Emmanuelli rappelle que la femme, l’homme qui sombre dans la pauvreté est incapable de réaction. « Quand ils sont cassés, ils ne prennent pas d’initiatives », il faut agir pour eux. Le SAMU social est « une cellule d’urgence, explique le Dr François Pernin de la CLE, à l’initiative de ce colloque, ouverte non-stop qui va à la rencontre des personnes qui présentent un symptôme aigu de détresse sociale. » Dépression, alcoolisme, drogue, problèmes psychiatriques, violences, dans la rue, et au-delà de la rue, dans les quartiers, dans les villages, se présentent toutes sortes de détresses sociales physiques ou psychiques, auxquelles il faut répondre en urgence, avant de pouvoir orienter les personnes vers les services appropriés pour les aider à sortir de ces pièges. C’est à cela que s’attèle un SAMU social.

La Corse a tous les acteurs pour agir, police, pompiers, médecins, acteurs sociaux. Il manque cette mise en réseau, cette organisation commune permettant la détection des urgences et leurs prises en charge rapide et suivie.

« L’urgence sanitaire a montré que tout est plus difficile pour les personnes qui cumulent les vulnérabilités, car l’isolement et l’enfermement sur soi aggravent la précarité » alerte Thierry Couvert-Leroy, délégué national de la Croix Rouge, président par intérim de la Fédération nationale des SAMU sociaux. Et c’est particulièrement vrai dans l’addictologie de rue, « une course contre la montre » pour le Dr Stéphanie Boichot-Geiger. L’alcool est la première cause d’hospitalisation en France, 800.000 par an devant les maladies cardio-vasculaires, « et moins de 20 % de patients alcoolo-dépendants sont dans la filière de soin ». À Paris, au moins un sur trois sans abris souffre d’une addiction à l’alcool. « Plus on travaille en amont, plus on arrive tôt, mieux c’est. Lorsqu’il s’agit d’aborder des situations complexes, parfois en lien avec des comorbidités psychiatriques, la synergie entre tous les acteurs, chacun avec leur expertise, est fondamentale » dit encore le médecin addictologue. Œuvrer ensemble, faire le lien entre l’urgence sanitaire et l’urgence sociale, c’est l’une des possibilités qu’offre un SAMU social. Et la Corse est elle aussi déjà dans ces urgences.

 

Plus de 60.000 personnes vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Tout autant probablement prêtes à sombrer dans la précarité. Et on doit compter sur l’impact qu’auront encore les conséquences sociales de la crise sanitaire sur le quotidien de centaines de personnes. On estime à +7 % l’augmentation des troubles psychiatriques dus à la crise Covid. Les témoignages des acteurs du terrain et des associations qui œuvrent au quotidien sont d’ailleurs alarmants sur la misère qui avance à grand pas dans l’île. Tout au long de ce colloque, Secours Catholique, Croix Rouge française, associations et acteurs ont fait part de leurs expériences, notamment des maraudes organisées le soir pour porter secours aux sans domicile fixe. Le constat de l’augmentation des addictions, des violences, contre les femmes notamment, le besoin de combattre l’habitat indigne, le manque de prévention dans les écoles, les collèges, la nécessité de croiser les actions, d’être présent, de protéger les acteurs de l’urgence, de cadrer leurs interventions, le besoin encore de formation, de professionnalisation, de maillage territorial, de prise en charge des flux estivaux (20.000 passages par an)… avec toujours ces phrases qui reviennent dans plusieurs bouches durant le débat : « aller vers », « ne jamais lâcher le lien ». Les acteurs ont besoin de s’épauler, de se coordonner, d’assurer le suivi des personnes. C’est tout cela un SAMU social. Comment le mettre en œuvre ? Particulièrement dans une île montagne où il faut se rendre jusque dans l’intérieur profond ? Des élus et non des moindres étaient présents, les présidents de l’Exécutif et de l’Assemblée de Corse, la conseillère exécutive en charge de la santé et de l’action sociale. Et puis tous les acteurs du terrain, administrations et associations. C’est déjà un début ! Les trois tables rondes organisées sur les addictologies et les problèmes psychiatriques l’ont démontré, la demande est pressante pour une mise en place rapide. La Fédération nationale des SAMU sociaux compte plus de 250 équipes mobiles en France et à l’étranger. La Corse doit pouvoir organiser son propre service d’urgence et de veille sociale. « Pour l’instant on n’est pas bons, il faut faire mieux. Nous avons dans cette salle des maillons de la chaîne, des gens capables de prendre en charge, des dispositifs pour en sortir. De l’autre côté on n’a pas encore ce second souffle, d’un nouveau SAMU social capable d’aller chez les gens, de les rencontrer, de les accompagner, de les soulager, parfois de les guérir et de les amener vers ces dispositifs. Ça, c’est à construire », a conclu le Dr Pernin. « Aller vers »…

Action à suivre. •

Fabiana Giovannini.