Caravane Mouv’Enfants

Pour éradiquer la pédocriminalité

Victime de coups et d’un double inceste dans l’enfance, Arnaud Gallais est devenu un « activiste des droits de l’enfant » comme il se définit lui-même. Il a été membre de la CIIVISE sous la présidence du juge Durand (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) qui a rendu son rapport au gouvernement en novembre dernier (1). Il a témoigné sa triste expérience dans un livre « J’étais un enfant »aux Editions Flammarion.
Cette semaine (2), il animait avec l’association Corse Stratégie Santé Sexuelle (C3S) (3) qui lutte contre les discriminations sexuelles, l’Agence Régionale de Santé et la Sécurité Sociale, la Caravane Mouv’Enfants, rattachée au Ministère des Solidarités, qui sillonne la France pour recueillir des témoignages de victimes de violences sexuelles et élaborer des propositions pour lutter contre ce fléau de nos sociétés.

 

 

Après Rennes, Caen, Angers, Beauvais, Cergy, Paris, Dijon, Nancy, Strasbourg, Toulon, ainsi qu’en outremer, Saint-Denis et Saint-Paul de la Réunion, Mamoudzou (Mayotte), St-Laurent-du-Maroni et Remire-Montjoly (Guyane)… la caravane Mouv’Enfants a donc fait escale en Corse. C’est la première fois qu’il lui ait demandé de réaliser plusieurs étapes (Bastia, Corti, Portivechju et Aiacciu) et que son déplacement est financé (soutien ARS et Sécurité Sociale). C’est dire si le problème est pris au sérieux dans l’île. Rappelons que l’ARS organisait il y a peu une agora de restitution sur les violences faites aux enfants et leurs conséquences sur la santé.

Les institutions ont un rôle à jouer dans l’élaboration de protocoles de détection, de suivi et de soin à mettre en œuvre auprès des victimes, comme des professionnels qu’il faut davantage former et accompagner. C’est une demande forte de ces réunions et Bastia n’a pas dérogé à la règle. Du côté des victimes, des associations, mais aussi des personnels de terrain de la protection de l’enfance, elle revient avec insistance.

 

Arnaud Gallais

À chaque étape, la Caravane s’appuie sur le témoignage d’une victime pour lancer le débat, puis trois ateliers sont mis en place pour élaborer des propositions : prévenir, protéger, réparer. Victimes, mais aussi personnels de la Collectivité de Corse, de l’Éducation nationale, de la Gendarmerie nationale, médecins, associations… la salle des Assises du Tribunal judiciaire (tout un symbole !) était pleine pour accueillir ces travaux. « Dans 60 % des cas, les enfants qui se confient ne sont pas protégés » a introduit Arnaud Gallais soulignant les carences de la prise en charge.

Une maman témoigne pour dire le viol subi par sa fille. Elle parle du calvaire des parents « victimes collatérales » lorsqu’ils apprennent la nouvelle. Leur fille a fini par se confier, elle a eu la chance d’avoir des parents qui ont su réagir en portant plainte immédiatement, et qui ont été bien accompagnés puisque la police, comme les médecins les ont entourés avec soin, ce qui est loin d’être toujours le cas. Mais il a fallu du temps avant que n’intervienne une condamnation. C’est une souffrance supplémentaire car la victime ne peut pas se reconstruire tant que son traumatisme n’est pas reconnu. « Porter plainte ça a un coût » dit aussi la maman, pas tout le monde ne peut suivre. Mais surtout, « le prédateur est toujours en liberté ». C’est insupportable pour la victime. Autre incompréhension, « on tait les condamnations » dans la presse et sur les réseaux sociaux. Le coupable déambule en ville pendant que sa victime vit un traumatisme et aura besoin de soins pour plusieurs années. Une injustice de plus.

L’expert pédopsychiatre Jean Marc Kemoun souligne « l’importance des mots », « il n’y a pas conflit, il y a quelqu’un qui subit et quelqu’un qui fait ». Il déplore les requalifications judiciaires, « viol » devient « abus sexuels », ou encore on correctionnalise pour désengorger les tribunaux d’Assises. « Dans la majorité des cas, les expertises et les auditions ne sont pas à la hauteur » déplore-t-il, soulevant le problème de formation dans l’accompagnement. Aux Assises, l’oralité des débats est importante pour la victime, les peines y sont plus lourdes aussi. On dit que « la parole se libère », mais « ce qu’il faut, c’est libérer les oreilles ». Parce que les victimes parlent, à leur façon, mais on n’écoute pas.

Le débat aborde encore le défaut de signalement, la prévention, les victimes en situation de handicap, quatre fois plus exposées aux violences sexuelles, les parents-protecteurs qu’on emprisonne, le manque de moyens institutionnels – « Seulement 8 professeurs pour former les pédopsychiatres en France ! » se désole Jean Marc Kemoun. Une personne abusée dans l’enfance, ce sont des risques démultipliés d’un adulte à problème, exposé aux troubles psychologiques, à la drogue et aux addictions, parfois à la prostitution ou à la possibilité de devenir violent et prédateur à son tour. Mouv’Enfants veut éradiquer la pédocriminalité en France. « C’est une question de volonté et de moyens » pour Arnaud Gallais qui prône la mise en place d’une « culture de la protection des enfants » : reconnaissance par les institutions de l’amnésie traumatique, imprescriptibilité pour tous les crimes et agressions sexuels sur mineurs, moyens importants contre la cyber-pédocriminalité, non-dénonciation à punir sévèrement, prévention généralisée à l’école dès la maternelle… Il faut faire de ce combat une priorité du gouvernement dit encore Arnaud Gallais. Une urgence quand on sait qu’un enfant sur cinq est victime de violences sexuelles.

La Caravane Mouv’Enfants finira son tour de Corse à Aiacciu pour une restitution générale ce vendredi 19 janvier à l’hôtel Campo dell’Oro de 9h à 12h. •

Fabiana Giovannini.

 

  1. Lire notre article « Inceste et violences sexuelles faites aux enfants. Combattre l’abominable réalité » (Arritti n°2828)

Combattre l’abominable réalité

  1. Le 15 janvier à Bastia, le 16 à Corti, le 17 à Portivechju, le 19 à Aiacciu.
  2. Association soutenue par l’État et la Collectivité de Corse.