Déclinaison opérationnelle du Padduc

L’Exécutif passe la vitesse supérieure !

Emmanuelle Cosse a signé deux protocoles avec la CTC: le premier veille à la compatibilité des documents locaux d’urbanisme avec le Padduc, le second aide à réparer les ratés de l’aménagement public de ces dernières décennies.

Au terme d’un an de travail avec les ministères du Logement et de l’Habitat durable d’une part, de l’Aménagement du territoire d’autre part, l’Exécutif territorial vient de marquer un nouveau point. Deux protocoles ont été signés avec le gouvernement, à l’occasion d’un voyage en Corse de la Ministre Emmanuelle Cosse. Le premier pour veiller à la compatibilité des documents locaux d’urbanisme avec le Padduc, le second pour aider à réparer les ratés de l’aménagement public de ces dernières décennies. Si le sujet paraît complexe, il touche à notre quotidien et à notre cadre de vie. Explications.

 

Dans le cadre de la mise en œuvre de la Collectivité Unique, trois « ateliers » avaient été décidés par le gouvernement : la langue, les institutions, et un troisième atelier appelé « Lutte contre la pression foncière et la spéculation immobilière ».

Il faut dire que le constat est accablant : entre 2010 et 2014, les ventes de biens fonciers et immobiliers ont représenté 11% du PIB de la Corse (contre 4% en hexagone). 32% de la tâche urbaine est concentrée dans la bande littorale ou pèsent tous les enjeux. Cette pression foncière provoque un manque de logement pour les Corses, qui n’est pas dû à une absence quantitative (il existe 227.000 logements pour 136.135 ménages dans l’île), mais à la flambée des prix de l’immobilier et au déséquilibre entre résidences secondaires et résidences principales. Le taux de résidences secondaires s’élève jusqu’à 70% dans certaines communes ! Le phénomène va s’aggravant et pèse davantage en Corse que sur le continent. Entre 2006 et 2014, si le prix moyen à bâtir a augmenté en moyenne de 71% sur le continent, en Corse, cette augmentation est de 105% plaçant la Corse au deuxième rang national derrière l’Île de France, et largement devant des régions pourtant très prisées comme PACA ou Rhône-Alpes. Tout ceci avec une forte disparité territoriale: 171 communes, principalement situées dans l’intérieur de l’île, n’ont connu aucune vente immobilière entre 2010 et 2014, celles-ci se concentrent dans 26 communes pour les terrains à bâtir, 46 pour les maisons, 19 pour les appartements, 15 pour les locaux industriels.

C’est dire si le problème est difficile et ne pourra se régler par des mesures telles qu’elles ont été mises en œuvre jusqu’ici.

Pourtant, d’emblée, le gouvernement avait fixé le cadre : travailler à « droit constitutionnel constant », pas de possibilité donc d’aborder la question du statut de résident par exemple, même s’il n’était pas tabou de parler de modification législative ou réglementaire.

Mais si la lutte continue sur ce plan, cela n’empêche pas le mouvement national d’essayer d’arracher d’autres avancées.

 

Réussir nos PLU!

L’agence de l’Aménagement durable, de l’Urbanisme et de l’Énergie de la Corse (AUE) a été désignée par le président du Conseil Exécutif pour le représenter au sein de cet atelier et mener la réflexion avec les services du ministère de Madame Cosse, Ministre du Logement et de l’Habitat durable. Celle-ci missionnait alors le Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD), experts indépendants auprès du gouvernement, pour conduire ces travaux, impliquant également l’Office Foncier comme outil de portage, le GIRTEC pour les besoins de titrisation, la Safer et bon nombre d’organismes, et bien sûr les élus locaux. De nombreuses réunions, échanges, contributions ont conduit à un même constat :

un déficit d’aménagement public accru, de grandes difficultés en matière de logement, et notamment de logement social, un défaut de maîtrise des collectivités en général, de la Collectivité Territoriale en particulier pour impulser un réel développement et le décliner de manière cohérente et équitable sur l’ensemble du territoire, le besoin d’une réappropriation de cette maîtrise de l’aménagement public et d’impulser une « culture de l’urbanisme» qui n’existe pas en Corse.

Malgré la loi SRU (Solidarité et Renouvellement Urbain) qui a substitué en 2000 à la logique d’affectation d’un usage à un terrain qui était la finalité des Plans d’Occupation des Sols, celle de

la primauté du projet urbain, avec notamment la mise en œuvre des PLU (Plans Locaux d’Urbanisme), depuis près de 20 ans, on a continué à appliquer la logique des POS en Corse. Ceux-ci sont aujourd’hui non seulement obsolètes, mais également « illégaux » eu égard à la loi littoral ou à la loi montagne par exemple. Pire encore, nombre de PLU adoptés depuis, l’ont été dans cette logique « POS » provoquant un étalement urbain considérable. Autant de « coups partis » qu’il est très difficile désormais de traiter.

La loi ALUR est venue mettre un coup d’arrêt à ces travers et les POS seront donc caducs à la fin de ce mois de mars.

Une catastrophe pour les maires qui ne s’y sont pas préparés.

Dans le même temps, le Padduc qui reprend toutes les règles d’urbanisme, a été adopté et validé par le contrôle de légalité. Il est désormais opposable. Et, même si une période de trois ans pour sa mise en compatibilité a été accordée, les communes doivent désormais prendre en compte ses dispositions. Un certain nombre d’entre elles ont pensé pouvoir conserver la « liberté » qu’elles croyaient acquises avec les POS en réalisant des PLU, non pas compatibles avec le Padduc, mais conformes à leur POS. Le résultat est douloureux : les avis en tant que PPA (Personne Publique Associée) joints aux enquêtes publiques sont défavorables, que ce soit ceux de l’État ou de la Collectivité Territoriale. Une perte de temps et des sommes considérables englouties dans les bureaux d’études et procédures diverses : tout à refaire !

Cette situation ne réjouit personne. Taper sur le Padduc ou sur la Collectivité Territoriale qui donne son avis PPA ne sert à rien. Les communes doivent se référer aux règles d’urbanisme, souvent complexes. La CTC met à leur disposition, gracieusement, les services en conseil et en ingénierie de l’AUE pour les accompagner au mieux dans l’élaboration de leur document d’urbanisme. Il faut cesser de jouer au chat et à la souris et faire appel à ces experts qui sauront indiquer les meilleures pistes de travail pour rendre compatibles avec le Padduc les projets de la commune.

C’est l’objet du premier protocole signé entre l’État (Ministre et préfet de Région) et la Collectivité Territoriale (président du Conseil exécutif et moi-même comme présidente de l’AUE). Objectif : accompagner les communes le plus en amont possible pour leur permettre d’élaborer leur PLU dans les meilleures conditions. Le document d’urbanisme n’est pas là pour satisfaire la somme d’intérêts particuliers, en se limitant à répartir le droit à bâtir sur des propriétés, il doit s’inscrire dans un vrai projet urbain qui définit l’évolution du territoire et décide de la maîtrise foncière nécessaire pour le concrétiser. Il faut tourner la page de la destruction programmée de nos paysages par un urbanisme diffus qui dénature nos sites sur le littoral comme en montagne, et se fait grand consommateur de foncier notamment agricole.

 

Redonner à la Collectivité Territoriale un rôle central en termes d’aménagement

De même, il faut réparer les erreurs du passé en matière d’urbanisme et d’aménagement public, d’une part, et impulser un développement plus cohérent sur l’ensemble de nos grands bassins de vie, d’autre part. La Collectivité doit pouvoir initier pour cela de grandes opérations d’aménagement public à même de transformer le territoire, bien sûr en concertation avec l’État et les collectivités concernées, qui restent maîtresses de leur projet. Mais ces démarches sont au niveau parfois d’intercommunalités, ou même de plusieurs d’entre elles, et il faut donc une maîtrise territoriale pour pouvoir les impulser avec cohérence et dynamisme. Aujourd’hui, personne ne s’y risque. D’autant que ces opérations se situent dans des secteurs compliqués, où le risque de dégradation du cadre de vie est le plus élevé:

les fameux secteurs à enjeux régionaux (SER) que le Padduc a identifiés autour des principaux pôles économiques que sont les ports, les aéroports, les gares, les grands axes routiers… qui doivent savoir marier tous les enjeux d’un territoire :

économique bien sûr, mais aussi agricole, environnemental, social… Ces opérations doivent conduire par exemple à la requalification de quartiers entiers complètement désorganisés, ou à la réparation de zones à cheval sur plusieurs communes qui subissent régulièrement des inondations désastreuses d’un point de vue économique et humain, suite à un urbanisme qui a été trop mal maîtrisé. Bref, il faut repenser l’aménagement et l’urbanisme de fond en comble.

Pour réussir cela, pour mettre en œuvre notre projet territorial, il nous faut accepter de travailler à une échelle supra-communale, et pour cela, la CTC, au même titre que l’État et aux côtés des collectivités concernées, doit pouvoir maîtriser des outils comme les Projets d’Intérêt Majeur (PIM) mis en œuvre par la loi ALUR, les ZAC ou les ZAD (zones d’aménagement concertées, ou différées). Pour l’heure, elle n’en a pas compétence et c’est une anomalie. C’est ce que veut permettre le second protocole signé avec la Ministre ce 13 mars, qui relevait d’un engagement du président de la République le 2 mars dernier devant l’Assemblée de Corse. Et c’est une très bonne chose pour la Corse. Une avancée qu’on ne mesure pas aujourd’hui mais qui va permettre, si nous obtenons l’évolution législative nécessaire pour la consacrer, de changer d’époque en termes d’urbanisme et d’aménagement public.

Fabiana Giovannini.