Cap'artìculu

Une époque violente

Par François Alfonsi

 

La balle qui a frôlé la tête de Donald Trump et manqué de peu de le tuer en tribune d’un meeting électoral envoie un message terrible aux peuples et aux démocraties dans le monde : la violence est en train de dominer le débat politique. La violence des mots s’est imposée depuis longtemps, notamment par internet. Avec l’attentat contre la vie de Donald Trump, elle a débordé dans les faits bien au-delà des limites de l’imaginable.

 

 

Avec leur penchant maladif pour les armes, de plus en plus nombreuses, de plus en plus mortelles, en circulation libre et débridée, les États-Unis ont toujours eu la réputation d’une démocratie marquée par la violence politique. L’assassinat de John Fitzgerald Kennedy est à cet égard resté dans toutes les mémoires.

Le profil du tireur qui a visé Donald Trump n’est pas encore vraiment connu par les enquêteurs, mais son jeune âge – 20 ans à peine ! – évoque un acte isolé commis par un individu psychiquement instable. Qu’il ait pu acheter une telle arme légalement, et réussir à déjouer avec une facilité déconcertante l’impressionnant dispositif de sécurité déployé pour assurer la sécurité du candidat républicain, est une nouvelle expression de ce mal profond de la démocratie américaine.

Mais, dans cet acte fou, les causes ont bien peu de poids face aux effets. En un éclair, c’est l’élection présidentielle de la première puissance militaire et économique mondiale qui a sans doute basculé. Et l’avènement possible de Donald Trump pour un second mandat ne va certainement rien apaiser, surtout si l’on se remémore les conditions apocalyptiques de la fin de son précédent mandat, avec l’épisode de l’invasion du Capitole, qui a fait, rappelons-le, cinq morts.

La montée en puissance continue, via les réseaux sociaux, par les déclarations provocatrices de Trump lui-même, par des médias instrumentalisés, d’une violence de moins en moins contrôlée, dont l’invasion du Capitole, il y a presque quatre ans, avait donné une image saisissante, a fini par aboutir à cet acte démentiel. Les adeptes du complotisme vont s’en donner à cœur joie. L’élection de novembre 2024, moment-clef de la démocratie américaine, sera sous cette influence, bien loin des débats politiques de fond.

Mais la violence de notre époque n’est pas qu’américaine. En quelques mois plusieurs conflits l’ont exacerbée, comme en Ukraine où la rhétorique de la « dénazification » a servi de discours officiel à Poutine pour déclencher l’invasion, puis à son armée pour y commettre des crimes de guerre épouvantables.

Idem en Palestine, lors de l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, d’une violence terroriste inouïe. Puis lors des massacres de Gaza, neuf mois durant, par une armée israélienne déchainée par un discours gouvernemental ouvertement d’extrême-droite. Aujourd’hui, les massacres continuent contre les populations civiles accusées d’abriter les leaders du Hamas qu’Israël veut éliminer. 40.000 cadavres jonchent les rues de Gaza, et aucune perspective n’est ouverte pour un cessez-le-feu véritable.

La violence est aussi exacerbée en France, comme en Nouvelle Calédonie, loin des médias et de l’opinion hexagonale. L’assassinat d’un activiste kanak, qui a fait lui-même usage d’une arme à feu, par un tir de gendarme, a ajouté une nouvelle victime au bilan des émeutes qui secouent le territoire depuis deux mois. Les émissaires envoyés par le gouvernement sont repartis sans n’avoir rien réglé, et la manière forte, y compris les « éliminations ciblées », semble être la seule réponse du gouvernement alors qu’il est responsable de la crise politique par sa volonté inique de bafouer le droit du peuple kanak à l’autodétermination.

Mais, ailleurs aussi, l’heure est à la violence des actes et des pensées véhiculées par internet, et par une armée médiatique levée à coup de rachats de titres de presse par un milliardaire d’extrême-droite. Cette violence latente s’est retrouvée au fond des urnes de l’élection européenne, puis de l’élection législative qui a suivi, à travers le score édifiant du Rassemblement national. Tant de citoyens qui se reconnaissent dans un vote d’extrême-droite sont l’expression d’une montée des tensions qui imprègnent la société et aveuglent un grand nombre de citoyens. Au point qu’en Corse ils ont été des dizaines de milliers à voter, pour représenter leur île, en faveur de candidats inconnus vivant sur le continent !

Dans une telle époque de violence, les démarches démocratiques sont systématiquement vilipendées et les dirigeants qui les mettent en œuvre accusés de « laxisme » et de « mollesse ». Heureusement, une large majorité reste encore soucieuse de préserver l’espace démocratique où elle vit. Il faut la mobiliser pour faire face à ce vent mauvais qui souffle dangereusement. •