L’ultimu giru

Antoine Ciosi, qui a annoncé son «Ultimu giru » aux Folies Bergères le 28 novembre prochain, était présent à Isula Rossa lors de la présentation de la liste « Pè a Corsica ». Ce n’est pas par hasard. Il fait partie de notre fonds culturel depuis les débuts de l’émergence du mouvement autonomiste, avec évidemment tous les acteurs du «Riacquistu ». Je ressors l’article d’ARRTTI (no 2364 di u 13 di marzu 2014) à propos de ses 40 années de carrière, retracées dans un livre paru alors.

 

Antoine Ciosi va fêter ses 40 ans de carrière, « de chants d’une terre ». En cette période d’élections bases de la démocratie, polluée trop souvent par des confrontations et d’échanges volant bas, par un heureux hasard, il nous ramène à l’essentiel qui nous lie tous, l’amour de notre terre, grâce à la passion qui l’anime servie par la force poétique et le talent.

 

Ni musicologue, ni érudit, j’en suis réduit à dire ce que je ressens. Dans l’après-guerre, les jeunes ne quittaient l’île que pour le service militaire ou faire des études. Ce premier exil imposé en quête d’emplois ou par nécessité de carrière le rendait définitif trop souvent. Ils se « diasporisaient ». Retour ou non aux congés et aux vacances, tous gardaient l’amour de l’île, du village, de la « casa paterna » où «mamma aspettava». Lors de cette période précédant l’éruption du Riacquistu, chanteurs et poètes faisaient échos à notre nostalgie et confortaient notre désir de retour. Le soir, le « Son des guitares » chez Jeannot, ou dans le jardin de la cité universitaire, rue de Madagascar, Jeanjean Martini avec sa belle et puissante voix, on était bercés comme des enfants.

En vacances, nos soirées au Rataghju, Tintin Pasqualini nous redonnait le sourire et nous faisions notre plein d’émotions discrètes mais fortes (Casa paterna et Ombre). Charles Rocchi, son timbre « paisanu » résonnait comme un carillon. Bien d’autres encore…

 

Et bien sûr Antoine Ciosi qui déployait ses ailes pour prendre son envol. Baptisé « chanteur corse » par la presse de la capitale, surtout après le Festival de la chanson corse qui lui décerna le 1er prix pour « Paese spentu », le second fut pour Maryse Nicolai avec qui il fit longtemps équipe, puis en compagnie avec les frères Vincenti…

En 1962, je visse ma plaque de médecin à Bastia, préoccupé par l’État d’une Corse désertifiée, empêtrée dans les pratiques clanistes.

Perplexe devant l’échec du Mouvement du 29 Novembre comme celui de l’initiative de Michel Martini…

1964, je commence avec le Cedic une démarche politique qui embraya sur l’ARC en 1967- 68 pour aboutir à Aleria en 1975.

Dans les années 70, les jeunes qui nous rejoignent se radicalisent aussitôt. «Chì fà ? Ci vole à plasticà ! » comme le rappelle Antoine Ciosi dans son livre «Chants d’une Terre » (40 ans de chansons corses)* évoquant sa rencontre avec les étudiants corses à Nice en 1973. Poletti avec « Canta u populu corsu » exprime bien leur engagement enthousiaste et « romantique ».

Fini le folklore des sérénades pour touristes, la statue de Tino Rossi est déboulonnée… Antoine Ciosi n’est pas trop alors leur référence. Il n’y a de place pour eux que dans l’engagement révolutionnaire. La position de l’ARC est claire, donner aux culturels, à tous les culturels, à tous les genres, un soutien sans condition sans avoir à intervenir dans leurs démarches. Chacun à titre personnel peut avoir des préférences. La culture et la langue sont l’âme d’un peuple.

Cette ligne sera tenue sans déroger. Nos chapiteaux furent ouverts à tous. Antoine Ciosi les emplit plus d’une fois. Une émotion qui me fit monter les larmes aux yeux quand Ghjuliu Bernardini à la voix rocailleuse entama sur une de nos scènes une paghjella avec ses enfants, Jean-François et Alain, dont les voix n’avaient pas encore mué.

Là je compris que le flambeau retrouvé par les plus anciens dans le lit de la tradition pouvait encore être transmis. Les jeunes ont puisé à leur tour dans la tradition, ils ont chanté l’amour, les deuils, les émotions de la vie sans se départir de leur engagement initial.

 

Ceux qui ont repris et revivifié la tradition ont vite compris l’apport d’une jeunesse, ont fait leur l’inspiration qui la portait sans pourtant adhérer aux moyens qu’elle préconisait.

Au lendemain de la guerre, la Corse se vidait de tout son sang.

Les acteurs de la culture, chanteurs, poètes, faisaient le constat triste de tous ses fils loin de la Terre mère, la Terre des mères. Paese spentu, Casa paterna, Tragulinu, U pastore di Calinzana

Mais jamais Antoine Ciosi ne déprime car il porte l’espérance et la foi en la Corse malgré tout.

Paese spentu se termine par deux vers : «Ma per mè tuttu hè permessu. Postu c’eo credu è speru ».

Cette passion renforce le lien commun, l’amour de ce qui est digne de la Corse, de ce qui est digne d’être Corse. Iè o Antò ! Ogni volta chì t’aghju vistu entre in scena, aghju spartutu a passione nustrale. Qual’hè chì vole à sparte più chè tè ?

Une diction parfaite, des paroles nettes, audibles sur tous les tons, «un versu» d’accent corse exemplaire, un juste dosage de théâtralisation, car on parle avec la voix, mais aussi avec le corps, ton talent d’acteur en somme, ta voix unique reconnue dès la première syllabe proférée, ton talent de « chanteur corse », eh oui !, réjouissent nos cœurs, irradient nos esprits.

Grazie tante o Antò !

Max Simeoni.