Lingua corsa

Nous avons tous un rôle à jouer

Max Simeoni
par Max Simeoni
La rédaction d’ARRITTI consacre ce numéro d’août à la langue corse. Je vais donc reprendre quelques données essentielles de la problématique du déclin de notre langue que les lecteurs de notre hebdomadaire connaissent déjà, du moins ceux qui me font l’honneur de me lire.

 

Je fais partie du lot, de plus en plus restreint, de ceux qui pensent que la langue est en train de disparaître, dans quelques décades, et parmi eux, de ceux qui sont persuadés que cela n’a rien à voir avec une fatalité, que cela est volontaire. Cette politique de génocide culturel est voulue depuis la bataille de Ponte Novu, depuis la conquête française. Et surtout par le régime républicain. N’est-il pas frappant de voir un Jules Ferry, inventeur de l’école publique obligatoire, gratuite et laïque, être d’autre part un fervent colonisateur pour la conquête d’un Empire colonial ? Tous les instituteurs devenir « les hussards noirs de la République » interdisant l’usage des langues régionales à l’école et même souvent en récréation ! Piquets, coups de règles sur les doigts, et des affiches péjoratives comme par exemple en Bretagne « il est interdit de parler breton et de cracher par terre ». Ces langues tutélaires considérées comme de vulgaires patois, rétrogrades, des restes des provinces millénaires de « l’Ancien Régime » féodal qu’un Pasquale Paoli avait combattu avant la Révolution de 1789.

 

Les efforts des culturels – enseignement de la langue, groupes de chanteurs, de théâtre, auteurs de grammaires, de dictionnaires, quelques écrivains de talents, animateurs de groupes de paroles, etc. –, ne sauveront pas à eux seuls la langue corse. Leurs efforts sont remarquables. Mais on peut mesurer le chemin à parcourir si on considère que notre langue sera sauvée quand elle sera transmise par la famille et qu’elle aura une utilité dans la vie socio-économique.

La coofficialité s’impose avec l’autonomie, le pouvoir de faire les lois pour encourager la présence du corse dans la société et l’économie. Il faudra que toutes les composantes de la société insulaire soient impliquées, sans brusquer personne, et que chacun ait toute latitude pour y parvenir sans être lésé en quoi que ce soit. C’est dire la tâche qu’incombe à l’ensemble des locuteurs corses : aider et accompagner ceux qui veulent apprendre la langue. Bénévoles ou rémunérés, ils apportent une plus-value de civilisation et de démocratie en défendant leur langue.

 

Les langues disparaissent, non du fait de leur valeur intrinsèque linguistiquement parlant, mais par une classe, un État au pouvoir qui, dominant les autres, n’a pas de crainte pour sa langue. L’exemple de l’anglais illustre, comme dans le passé, la domination de Rome où toute la planète s’était mise au latin. De nos jours, c’est l’anglais, par la grâce des USA qui dominent la vie économique et l’arsenal des bombes atomiques. Demain viendra le tour sans doute de la Chine ?

Quand on défend la langue corse, on n’accepte donc pas la domination d’un colonialisme. On fait œuvre de liberté et de démocratie car il est évident que la Corse n’aura jamais le pouvoir de dominer quelconque des peuples qui l’entourent ou qu’elle aura à connaître. Le côté utilitaire de l’anglais est encouragé par les dirigeants qui tentent de l’introduire au niveau des classes primaires à petites doses certes mais pour que les enfants se familiarisent avec un accent loin du français.

 

Si on veut agir pour sauver la langue corse, la culture, la terre insulaire, tout un peuple en somme, il convient de voir la réalité et la nommer : l’île de Corse et son peuple ont été, et restent, une colonie. Il suffit de survoler les 250 ans de tutelle française pour en être sûr.

Loi Douanière de 1818 â 1913 (95 ans), non développement de l’île, à ajouter la Guerre de 14/18, 12 à 14.000 morts au champ d’honneur, l’île réservoir d’hommes qui se vide. En 1962, il ne reste que 160.000 habitants d’une population vieillissant et dont le peu de jeunes continue de partir. Premier apport extérieur : 18.000 Pieds Noirs fuyant l’Algérie recasés par la Somivac au détriment de jeunes agriculteurs corses, peu nombreux d’ailleurs !

En 1970/71, un plan de 15 ans (de 1971 à 1984) – dit Schéma d’aménagement de la corse – est voté en Conseil des ministres. Il est une des propositions du rapport de l’Hudson Institute commandité par la Datar et qui devait rester secret. Or l’ARC a eu ce rapport et le divulgue. Levée générale de tous les insulaires car il est la preuve que la Datar n’a retenu que la préconisation la plus mauvaise, celle qui accélérait la fin du peuple corse par une noyade de 250.000 lits pour le tourisme à développer en 15 ans et la venue de 70.000 saisonniers pour encadrer ce lancement.

Il semblait abandonné car les autorités n’en parlaient plus. Or, il est à l’œuvre de nos jours. Les chiffres l’attestent. Plus de 97% de tout ce que nous consommons est importé de l’extérieur, avec l’aide de la DSP (ex-enveloppe de la continuité territoriale).

Comment définir cette constante politique autrement que typiquement coloniale ? Pour sauver peuple, langue et territoire, il faut changer le rapport Corse-République. Donc l’autonomie pleine et entière. Mais il faut être réaliste. Avoir raison ne peut pas suffire. D’autres enjeux sont à ménager.

 

La place de l’île en Méditerranée, sa géopolitique doit rassurer la République et tous les pays européens impliqués plus ou moins dans ce Mare Nostrum. Aucun État ne peut s’en abstraire. Il s’agit d’une sécurité pour ainsi dire vitale pour tous. Nous devons exercer notre liberté sans être une menace. À nous donc de rassurer par l’usage qu’on pourrait faire de cette autonomie pleine et entière.

Langue, culture, pouvoir de faire les lois chez soi, « Terre mère » mais facteur de garantie et d’accueil selon nos possibilités et bien d’autres considérations, n’est-ce pas toujours plus de démocratie et de civilisation humaniste ?

Je me sens petit, humble mais bien à l’aise ! Et vous ? Au fond, petit mais un rôle important à jouer, ensemble, en intelligence collective. Parlemu corsu. •