Collectivité de Corse

Vers une véritable autonomie régionale ?

Max Simeoni
par Max Simeoni
Quand j’ai eu connaissance par la presse que Gilles Simeoni entendait conduire seul une liste pour les élections Territoriales du 20 juin, j’ai pensé, vu la dizaine de candidats, qu’il pouvait sortir en tête avec la crainte cependant des abstentions de bien des nationalistes perturbés par la crise des coalisés majoritaires disloqués par le virus électoraliste. Laurent Marcangeli pouvait réunir des Divers Droite aux effectifs réduits mais pas tous les opposants aux nationalistes coalisés même s’il les alléchait avec l’affirmation qu’il était le seul capable de les battre.

 

Pour le deuxième tour le 27 juin j’attendais plutôt un retour des coalisés regroupés dont Gilles Simeoni reconduit Président de l’Exécutif aurait accepté à les conditions. Il a poursuivi seul. Il lançait détendu et souriant un appel aux électeurs de le porter le plus haut possible pour qu’il puisse agir dans l’intérêt de la Corse. J’étais intrigué par cette décontraction qui lui faisait balayer d’un revers de main le reproche des coalisés : « Pè à Corsica a gagné les élections. La majorité est donc la volonté démocratique du Peuple Corse et non l’hégémonie d’un seul… il n’y a pas même eu de réunion entre nous pour en discuter… » Il répondait : « la discussion s’est faite depuis longtemps en amont, en vain. »

 

Ce ciel brumeux ne pouvait, sentiment largement partagé, bénéficier qu’à Core in Fronte qui tenait ferme le cap indépendantiste et avait quelque espoir de franchir la barre et d’avoir quelques élus.

J’estimais, devant l’assurance décontractée, que Gilles Simeoni « seul » avait peut-être des cartes qu’on ignorait mais le plus probable qu’un bon score sur son seul nom, une sorte de primaire qu’il imposait aux coalisés, lui permettait de mieux gérer les tensions entre les composantes et celles inévitables à l’intérieur de chacune pour les places d’éligibles, y compris la sienne surtout pour élargir en faisant des ouvertures au-delà de la famille des natios. On peut résumer en disant, regrouper et élargir.

Tout s’est éclairci pour moi quand j’ai vu à la une de Corse Matin du 10 juillet « L’Île plus autonome, les régions disent oui » et en sous-titre « Carole Delga, élue à la tête des Régions de France appuie la demande de Gilles Siméoni. » Nous apprenons en page 2 que Gilles s’est rendu en Occitanie il y a trois ans pour étudier l’Assemblée des territoires mise en place par la présidente qu’elle s’était engagée à inscrire l’autonomie de la Corse dans un livre blanc. Ce livre sera remis d’ailleurs aux candidats des présidentielles.

 

Changement spectaculaire de la donne. D’abord un scrutin qui a mobilisé (à peine 40 % d’abstention). Plus qu’une onction, c’est une douche démocratique ! À l’opposé de la tendance croissante des abstentions qui sévit sur l’ensemble de l’Hexagone.

Les 18 régions (13 métropolitaines et 5 ultra marines) sont en accord pour « intégrer la Corse et la demande d’autonomie » pour une « République des Territoires ». C’est aux antipodes du dogme jacobin « un seul pays, un seul territoire, un seul État, une seule langue » sous prétexte d’égalité. Un égalitarisme qui nie toute différence héritée de l’histoire, qui pousse à faire table rase du passé, qui est en fait un totalitarisme qui ne reconnaît aucun droit spécifique qui les discrédite et œuvre à les faire disparaître. De l’anti-démocratie. Les différences sont naturelles. Des hommes grands, des petits, moyens, des blancs, des noirs, des jaunes, des peuples de même, des États à Peuples divers… la vie des espèces, des hommes, des sociétés. Une plus-value de civilisation passe par le dialogue et la tolérance, en un mot par le débat démocratique. Cette option ou le rapport de force pour régler les problèmes souvent travestis par la duplicité ou aveuglés par l’idéologie. Toute baisse de l’idéal démocratique débouche un jour ou l’autre sur le racisme, l’ostracisme, la domination des plus faibles… La République ne colonisait-elle pas au nom des valeurs universelles dont elle se croyait être l’étalon. Un Jules Ferry, un progressiste car créateur de l’école obligatoire, gratuite, laïque, était un colonisateur convaincu que sa République donnait de la « civilisation » à des peuplades attardées.

Non ! La demande d’autonomie et la reconnaissance du Peuple Corse ne sont pas des « obsessions institutionnelles » sous prétexte que le réalisme est de traiter des problèmes concrets comme les déchets par exemple… car pour y parvenir il faut faire la Loi ou l’infléchir comme par exemple pouvoir maîtriser le tout tourisme et le remplacer par un tourisme « durable » et instituer le principe de justice « pollueur-payeur ».

 

Pour revenir sur le soutien des 18 régions de France unanimes en regard de la Corse, cela me paraît une révolution des esprits de la France profonde qui s’inscrit en faux contre le dogme du centralisme rigide descendant depuis Paris. Qui n’est pas étonné, en dehors de quelques initiés, par cette prise de position unanime ?

En remontant le temps, certaines mesures prises, qui paraissaient insuffisantes voire dérisoires, peuvent éclairer nos lanternes. Le premier statut particulier Mitterand Defferre en 82 et 84, puis Joxe suivi de celui de Jospin qui prévoyait une réforme de la Constitution restée en rade et enfin celui actuel de Caseneuve, l’Assemblée de Corse sans Conseils généraux, marquaient autant de petits pas incertains vers l’avènement d’une majorité absolue des natios et l’appui de toutes les régions administratives élues de France. Une évolution parallèle avait commencé à la tête, comme un retour aux Partis de la IVe avec la cohabitation tout à fait à l’opposé de la Ve République de De Gaulle. Les conditions ont changé : perte des colonies (indépendance de l’Algérie, Évian 1962), Europe économique prélude à l’Europe politique qui reste pour l’heure une Europe des États, la mondialisation financière que les États veulent taxer à 15 %. Et puis cet Hexagone qui veut faire sa mue pour sortir du corset périmé vertical pour aller vers une France des territoires transversale et à la diversité prise en compte.

 

L’histoire des peuples et de leur aspiration à plus de démocratie est lente mesurée au temps de la vie de l’homme. Elle réserve parfois des surprises.

Espérons  une bonne surprise et espérons-la en continuant à lutter pour la rendre possible malgré tout, malgré la mondialisation anonyme, la résistance des structures étatiques encore en place, malgré le Covid19 et ses mutants, malgré l’individualisme égocentrique à courte vue fixé sur chaque nombril sous prétexte de liberté et faisons le pari sur l’homme capable du pire mais aussi du meilleur, pour nous et surtout pour nos enfants sur une terre belle que nous devons laisser à nos enfants plus libres, solidaires et généreux. Je rêve ? Les régions de France me feront-elles rêver davantage ? •