Qatargate

Le Parlement européen humilié dans son cœur d’activité

Le Qatargate devient progressivement le Maroccogate au fur et à mesure des révélations que l’enquête judiciaire belge suscite parmi des inculpés visiblement décidés à saisir les dispositions prévoyant une peine allégée en cas de collaboration avec le juge dans la manifestation de la vérité. L’opprobre est jeté qui affecte ce que les députés européens ont le plus à cœur : la défense des droits de l’Homme à travers le monde.

 

 

Ce que l’enquête révèle après la découverte de centaines de milliers d’euros en petites coupures au domicile de plusieurs euro-parlementaires ou de leurs assistants, c’est que le Qatar n’est pas le déclencheur de la vaste entreprise de corruption désormais mise à jour au Parlement européen. Au cœur de l’affaire, le Maroc joue un rôle qui, par son ancienneté et son importance, apparait principal.

En fait, l’émirat du Qatar s’est branché sur ce réseau pour un besoin ponctuel, celui de restaurer son image gravement impactée par les statistiques révélant le sort des ouvriers affectés aux chantiers qui ont permis que se tienne la coupe du monde de football fin 2022. Ainsi, les députés approchés ont pu se rendre au Qatar tous frais payés, puis revenir au Parlement pour y tenir, contre de plantureuses rémunérations, des propos sur commande devant la Commission des droits de l’Homme où ils étaient très influents, puis en session plénière.

Tout un chapelet « d’éléments de langage », l’enquête l’a révélé, a été soigneusement préparé dans la suite d’un palace bruxellois avec le parrain italien du réseau, Pier Antonio Panzeri, ancien député socialiste italien qui avait présidé la fameuse Commission des droits de l’Homme lors des précédentes mandatures, remplacé depuis 2019 par une députée dont il est proche.

 

Les faits sont hallucinants, tout comme les valises de billets en petites coupures retrouvées aux domiciles de ceux qui ont participé au blanchiment de la réputation du Qatar au moment où la grande opération de promotion du pays engagée lors de cette coupe du monde de football entrait dans sa phase finale et décisive. Force est de constater que sans l’irruption des juges et enquêteurs belges, l’opération aurait parfaitement réussi.

Mais il ne s’agit pour le Qatar que d’une opération ponctuelle. Les révélations de l’enquête démontrent que ce système de corruption est beaucoup plus ancien, et qu’il a été mis principalement au service du Maroc depuis de longues années. Et là l’affaire devient encore plus grave car elle dépasse largement celle d’un soutien à un blanchiment d’image d’un émirat en quête de reconnaissance mondiale. En effet, chaque année, des sommes considérables sont attribuées par l’Union européenne au Maroc au détriment du droit international, à travers les accords de pêche, et ce réseau d’influence a été déterminant dans ce dossier.

 

Car, chaque année, l’Europe négocie des droits de pêche au profit des plus gros armateurs européens, espagnols et français le plus souvent, qui envoient des chalutiers prélever les ressources halieutiques des eaux territoriales marocaines, ou, plus exactement, revendiquées par le Maroc. Car ces accords incluent indûment la part de ces eaux territoriales qui reviennent au Sahara occidental actuellement colonisé par le Maroc en dépit des résolutions de l’ONU. Cette attribution (55 millions d’euros tous les ans) est manifestement illégale, ce que la Cour de justice de l’Union européenne a encore confirmé récemment sur plainte du Front Polisario, le mouvement de libération sahraoui qui combat l’occupation marocaine. Elle est pourtant votée, et renouvelée chaque année, sous pression d’un lobbying marocain dont on sait désormais qu’il arrose structurellement, depuis des années, un réseau de députés, et aussi d’assistants parlementaires, sans compter la suspicion envers les fonctionnaires européens qui exécutent chaque année, sans sourciller, une dépense aussi importante en sachant pertinemment qu’elle est entachée d’irrégularité.

 

Pour le Parlement européen, ces révélations sont un coup terrible. La force de cette institution, qui attribue chaque année le prix Sakharov, tient pour beaucoup à la place qu’il occupe dans le monde pour la défense des opprimés. Dès qu’un opposant veut se dresser quelque part dans le monde contre la tyrannie de son pays, il se tourne vers le Parlement européen, et il reçoit en retour une tribune ouverte sur l’Europe et l’engagement de députés qui apportent leur solidarité. Ainsi des « groupes d’amitiés » informels sont constitués pour soutenir des combattants de la liberté au Kurdistan, en Amérique latine, en Arménie, en Birmanie, en Chine, etc. J’anime deux d’entre eux, pour le Kurdistan et pour les arméniens du Nagorno-Karabakh.

Cette action désintéressée est profitable à l’Europe dont l’image de démocratie de référence est ainsi largement confortée, sans compter que l’opposant d’aujourd’hui peut devenir le dirigeant de demain, et payer en retour le continent européen du soutien qu’il a reçu.

Mais, aux antipodes de ces démarches désintéressées, des « groupes d’amitiés » ont aussi vu le jour avec la Russie, l’Azerbaïdjan et d’autres dictatures. Ceux qui y participent profitent de déplacements tous frais payés qui alimentent sur place une propagande sur un pseudo-soutien européen à ces dictatures, et ils agissent ensuite au Parlement comme l’ont fait Panzeri et ses acolytes. Tous n’ont pas commis des faits aussi graves, mais le projet est sur la table d’interdire tous les groupes d’amitiés, quels qu’ils soient, mesure dont les principales victimes seraient encore et toujours les opprimés à travers le monde.

 

Avec ce scandale, le Parlement européen est déstabilisé dans le cœur même de son rayonnement politique, étant donné la place qu’il occupe dans le monde comme espace démocratique de référence et dans la lutte contre la corruption. Les effets de ce désastre seront malheureusement durables et profonds. •

François Alfonsi.