Présidentielles

L’échec démocratique

Même si les résultats à l’élection présidentielle étaient prévisibles, ils sont un coup de massue. C’est l’échec de la Démocratie ou la démocratie en échec.

 

En France d’abord. Malgré les alertes, en 2002 bien sûr, 2017, mais pas seulement. À chaque grand scrutin, dans chaque ville ou village, même dans les lieux les plus reculés où les principaux mots d’ordre du Front (puis du Rassemblement) National ne se posaient même pas comme problématique, bref dans chaque recul des valeurs humaines, ces alertes étaient lancées. Dans une sorte de ras-le-bol de la politique et des mensonges des « puissants », de ce paternalisme d’État, ce mépris récurent, cette répression systématique du mécontentement, les Français renvoyaient un « tous les mêmes » en forme de vote de contestation. Et comment mieux choquer que faire le choix du vote RN ? C’est stupide, mais la société était prévenue. Le signe d’un échec de toute la classe politique en France. De la droite à la gauche, en passant par les centristes et mêmes les écologistes, sans oublier toutes les forces vives et ceux qu’on nomme les intellectuels, les artistes, les penseurs. Que sont-ils tous devenus ? Plus personne n’était en mesure de déclencher l’espoir, alors l’électeur se réfugie dans le désespoir et lance un « tiens, prend toi ça », sorte de suicide démocratique collectif.

Mais c’est trop facile de dire « tous pourris » au point d’en arriver là. Car c’est aussi l’échec du citoyen. Trop simple de l’exonérer de ses fautes. Celui ou celle qui attend tout pour lui, et tant pis pour les autres, qui ne s’engage pas pour changer collectivement son quotidien, ou si peu, et commente au comptoir des cafés. Celui ou celle qui veut tellement gagner une élection qu’il en finit par voter pour « donner une leçon » qui conforte son « je vous l’avais dit » !… Quel désastre démocratique ! C’est le vote en fait de l’égoïsme poussés à l’extrême. Il s’est exprimé longtemps dans un vote d’abstention ou nul, non comptabilisé, et se voit désormais dans un vote RN, jusqu’à ce qu’il se transforme peut-être en un vote de conviction… Et pendant ce temps, les institutions sont immuables. La République reste archaïque, rigide, faite pour quelques-uns au détriment du peuple. Aucun de ceux qui peuvent n’a envie de changer cet ordre des choses. Aujourd’hui cette non-démocratie ou mal-démocratie renvoie depuis la base un message effrayant, « pourquoi ne pas essayer de ce côté-là ? »

Ne serait-il pas temps de s’interroger sur l’organisation de la démocratie en France ?

 

En Corse ensuite. Le peuple a tout essayé. La droite, la gauche, les nationalistes. Le clan ou l’espoir d’une vie meilleure… Et rien ne se passe. Les fossés continuent de se creuser. Bien sûr il y a des explications. Bien sûr l’État, l’immobilisme intérieur comme extérieur. Mais les gens continuent d’être non entendus, et les égoïsmes progressent. On n’a plus envie de parler « intérêts collectifs », on veut sa maison au bord de mer, on veut pouvoir déroger au Padduc, consommer des espaces agricoles, on veut du travail facile pour le petit, tant pis si d’autres ont davantage les compétences, on veut un logement social même quand on n’y a pas droit, on prend à la rigueur une carte d’adhérent à un parti qui n’oblige à rien, juste à dire le moment venu « eiu sò cù voi ! » Nombreux s’assoient sur les valeurs. Aucune sanction en retour, « capisci, hè cù noi ». Là aussi c’est l’échec de la démission collective. Le travail sur la responsabilisation du peuple n’est pas fait. Il ne peut l’être que par la force de partis politiques conscients du combat à mener et de la formation des hommes à faire. Fà Nazione ça demande un travail sur les consciences, une culture de l’exemplarité. On n’est pas étonné par l’échec du clan et du néo-clan, il était déjà acté, mais celui du nationalisme fait mal. Même si on n’en est pas encore tout à fait là, c’est une alerte de plus. Indépendantistes ou pas, comment peut-on appeler ou opter pour un vote d’abstention alors que tout régit les affaires de la Corse à partir des présidentielles ? Tout. N’est-ce pas suicidaire ? De même, comment peut-on ne pas appeler à voter des candidats qui tendent la main depuis si longtemps et si sérieusement à la Corse et à ses revendications ? Ne serait-ce que pour renvoyer un signal sur nos attentes. Comment ne pas tenir compte d’un contexte où l’extrême-droite est si forte, qu’elle se permet désormais des tendances lui constituant des réserves de voix ? Dans un contexte surtout où la Corse est martyrisée, ses enfants assassinés en prison, sa jeunesse réprimée… Comment peut-on avoir autant la mémoire courte ? Après sept années de gestion difficile dans un climat tendu, comment n’avoir pas vu venir cette situation, alors que les partis s’étiolent, que les militants ne militent plus ou presque, que le mécontentement se manifeste de plus en plus ? Comment continuer à ne pas se remettre en cause ? Tout le nationalisme est comptable de cette situation. Comment ne pas se souvenir que le FN prônait jusqu’à il n’y a pas si longtemps la peine de mort pour les détenus nationalistes ? Comment porter à la tête du vote des Corses trois candidats parmi les plus jacobins de France ? Certes le vote des Corses pèse si peu sur la France, mais n’était-ce pas intéressant d’encourager le message « autonomie de plein exercice et de plein droit » ? Faire en sorte que le débat actuel ait un écho réel dans cette élection ? Aucun message sur cette nécessité. C’est décevant.

 

De même, où sont les défenseurs de l’environnement dont on sait qu’il est l’un des premiers soucis en Corse ? Où sont les syndicalistes pour défendre la justice sociale ? Où sont les défenseurs de notre langue qui par leur vote ou leur non-vote n’ont pu empêcher le choix des deux candidats parmi les plus opposés à leurs revendications ? Où est le monde enseignant après toutes les attaques vécues contre les maigres progrès arrachés en 50 ans de lutte ? Les votes RN et Macron cumulés sont si forts que par évidence une grande partie du peuple corse s’est oublié et crache sur ses propres attentes. Va-t-on faire un jour l’analyse du vote présidentiel en Corse ? Est-ce le choix de la stratégie du chaos ? Il faut être sacrément irresponsable pour la tenter dans un contexte national et international aussi bouleversé !

Tout ça est bien triste. Et réclame un recentrage au moins des partis politiques nationalistes : 1/ Souhaitons-nous faire progresser la démocratie en Corse ? 2/ Comment nous y prenons-nous pour conscientiser le peuple corse face aux défis qui se posent à lui et au monde ? Se laver les mains de tout ce qui interagit sur notre avenir collectif n’est pas une option. •

Fabiana Giovannini.