Maire de Grande Synthe, nouveau député européen

Damien Carême

L’Université d’été de la Fédération Régions et Peuples Solidaires se tiendra en Corse du 23 au 25 aout prochain a Aiacciu. Plusieurs thèmes en débat (Lire ici) pour plusieurs intervenants, dont Damien Carême, maire de Grande Synthe, eurodéputé écologiste, qui sera l’invite de cette Université d’Eté le dimanche 25 aout. Interview.

 

Un résumé de ton engagement politique ?

Je suis issu d’une famille caractéristique de la gauche dans une région industrielle comme l’est le nord de la France. Grande Synthe est une ville champignon de la croissance industrielle des années 60, dans le sillage de la sidérurgie. Mon père avait été maire socialiste de la ville, et j’ai été au PS dans les années 80, avant de le quitter en 1992. En 2001, j’ai été élu maire divers gauche, contre la liste de « l’union de la gauche » officielle, dont faisaient partie le Parti Socialiste et aussi les Verts.

C’est le second tour Chirac/Le Pen de 2002 qui m’a amené à reprendre ma carte au PS, en essayant de participer à un mouvement de refondation, le Nouveau Parti Socialiste lancé par Montebourg, Hamon, Emmanuelli et Paillon. Mais il n’a rien refondé du tout, et, en 2014, j’ai fini par rejoindre les Verts.

 

Ton engagement écologiste est donc récent…

Pas du tout. J’ai milité tout au long de ces années avec les Amis de la Terre, contre les centrales nucléaires, et dans toutes les mobilisations écologistes. Comme Conseiller Régional du Nord-Pas de Calais, j’ai eu un parcours d’élu totalement écolo, et c’est d’ailleurs ce qui m’a rapproché des Verts. Et à Grande Synthe, qui est une ville pauvre et ouvrière de 23.000 habitants, j’ai aussi montré ma volonté réelle d’une transformation écologique de la cité au cours de mes 25 ans de mandat.

 

Comment as-tu concrétisé ton engagement ?

Grande Synthe est une ville à la population pour la plus grande partie issue de la croissance industrielle autour de l’industrie de l’acier qui s’est développée dans le Nord de la France au début des années 60 avec Arcelor. La crise industrielle y est très forte : 28% de taux de chômage, 33% de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté.

On a cherché à soutenir la population socialement en difficulté à travers des choix aussi motivés par l’écologie.

Par exemple, pour les transports, cela a consisté à développer la mobilité douce, à pied ou à vélo, ce qui est par nature moins coûteux. On a aussi privilégié les transports en commun où nous avons instauré la gratuité depuis septembre, ce qui développe leur usage et donc diminue les dépenses liées au recours à la voiture.

Autre axe politique, le partage, par exemple des jardins partagés dans l’habitat social qui à Grande Synthe représente 64 % du parc des logements, ou encore une «outilthèque » qui met à disposition des habitants les outils dont ils ont besoin occasionnellement sans avoir à les acheter et à les laisser dans un placard le reste du temps. C’est un service social, mais aussi un moyen de limiter la consommation et donc l’impact écologique. Pour les cantines des écoles, et tous les repas servis dans les établissements pour personnes âgées ou livrés à domicile, Grande Synthe a été une des toutes premières communes à faire le choix d’être 100% bio. On a étendu ce choix à la recherche de production locale et la commune a acheté 14 hectares de terres agricoles où elle a installé cinq maraîchers bio là où il y avait auparavant deux exploitations traditionnelles. Plus de 20% de nos légumes sont produits par nous-mêmes désormais.

 

Comment financer cette « écologie sociale»?

Une de nos priorités a été les économies d’énergie et la promotion des énergies renouvelables.

Par exemple, pour réduire les consommations d’énergie, nous sommes passés de 7.000 à 5.400 points lumineux tout en réduisant les consommations par l’installation de LED au lieu des lampes traditionnelles, et en diminuant l’intensité lumineuse selon l’heure de la nuit. 476.000 euros sont ainsi économisés, et, désormais, la commune produit autant d’électricité grâce aux énergies renouvelables qu’elle n’en consomme dans ses bâtiments communaux ou pour l’éclairage public. Nous produisons aussi à partir de nos déchets et de la station d’épuration 75 % du méthane distribué par le réseau de gaz naturel de la ville.

Ces 476.000 euros se sont ajoutés aux 700.000 euros du budget annuel de la Caisse Communale d’Action Sociale, et cela nous a permis d’instaurer sur la commune un «minimum social garanti » pour tous les habitants les plus modestes.

 

Qu’est-ce que ce «minimum social garanti»?

Cela s’adresse à tous ceux qui sont sous le seuil de pauvreté qui est de 855€, pour que plus un seul citoyen de la ville ne vive en dessous ce seuil de revenu. Ils sont chômeurs, ou retraités pauvres, souvent des veuves dont la faible pension de réversion au décès de leur mari les fait basculer dans la précarité, et même les travailleurs pauvres, à temps partiel, ou avec un seul SMIC insuffisant pour faire vivre toute une famille, même en y ajoutant les aides sociales au logement ou les allocations familiales. Chaque situation est étudiée pour définir les « unités de consommation » de chaque foyer – par exemple un couple avec deux enfants représente 2,5 unités de consommation- et la commune verse à ce foyer un complément de ressources qui assure au moins 855€ de revenu par unité de consommation, pour qu’ils soient tous au-dessus du seuil de pauvreté.

Terminés les « bons d’achat » qui peuvent alimenter des dérives clientélistes !

Notre dispositif s’adresse à 17,6% de la population, 3.700 habitants sur les 23.000 que compte la commune. Pour éviter un afflux de demandes excessives, on a prévu des garde-fous et notamment une justification de résidence depuis trois années sur la commune.

 

Te voilà désormais député européen. Comment comptes-tu y prolonger l’action que tu as menée localement comme maire de ta commune ?

Je vais siéger dans trois commissions. La première est la commission LIBE (Libertés, Justice, Affaires intérieures) car j’ai une grande expérience des politiques migratoires et l’Europe doit construire un politique digne de ce nom à cet égard. Grande Synthe est un lieu de transit comme Calais pour les flux migratoires vers le Royaume Uni, et nous avons oeuvré pour que ces gens soient traités humainement et dignement. Ce qui a été fait à Grande Synthe avec le concours des ONG est souvent cité en exemple.

Je siègerai aussi en Commission ITRE (Industrie, Recherche, Energie) car je veux prolonger l’expérience que nous avons eue et pousser aussi des solutions industrielles nouvelles comme l’hydrogène.

Enfin je siègerai à ECON, la Commission des Affaires économiques et monétaires, car il faut booster la taxe carbone, lutter contre l’évasion fiscale, créer les conditions économiques pour réduire réellement la fracture sociale et favoriser la transition écologique. Je veux ainsi aider à prolonger les combats d’Eva Joly dont les assistants forment d’ailleurs l’essentiel de mon équipe.

 

Interview recueillie par F.A