Cap'artìculu

Quatre listes nationalistes

L’ambiance était, dit-on, glaciale à Ponte Novu ce 8 mai 2021 lors d’une cérémonie décidée minimale en raison de la pandémie Covid 19. Les têtes de liste Core in Fronte, Corsica Lìbera et PNC étaient là, entourées de colistiers, et le parti du Président de l’Exécutif largement représenté. La « primaire » du premier tour des élections territoriales, le 20 juin prochain, est lancée.

 

Trois listes sont désormais connues. Celle de Gilles Simeoni le sera avant la fin de la semaine. En fait, par origine idéologique, les deux courants historiques du nationalisme, le « modéré » et le « radical », sont représentés chacun par deux listes rivales, Femu a Corsica et le PNC pour le premier courant, Core in Fronte et Corsica Lìbera pour le second.

Leurs leaders ont tous une longue histoire. Celle de Gilles Simeoni remonte même avant lui et son engagement personnel en politique en 2008, lors de la municipale bastiaise, quand il prend le sillage de son père Edmond qui a incarné le « courant modéré » durant un demi-siècle. Jean Christophe Angelini était tout jeune étudiant quand il s’est fait connaître avant de devenir Conseiller Territorial d’opposition en 2004, sur une liste alors conduite une dernière fois par Edmond Simeoni.

Sur cette « liste d’union » figurait aussi Jean Guy Talamoni dont le « courant radical », appuyé sur un FLNC toujours présent mais marqué par la guerre fratricide des années 90, était encore considéré comme le courant principal, ayant bénéficié de la caisse de résonance du « processus de Matignon » dont il était le principal négociateur avec Paul Quastana.

Les premiers combats électoraux de Paul Félix Benedetti remontent aussi à cette période, animant avec U Rinovu Naziunale, l’expression publique d’une clandestinité rivale de celle du FLNC historique. Les antagonismes sont anciens, et leur union électorale de 2010, mandature au début de laquelle Jean Guy Talamoni et Paul Félix Benedetti ont siégé sur les mêmes bancs, s’est rompue dès 2012. Depuis, Core in Fronte a continué sa route en solitaire, et a été absent de l’Union qui a conduit aux victoires électorales de Pè a Corsica en 2015 et 2017, Gilles Simeoni devenant alors le premier Président nationaliste à la tête des institutions de la Corse.

Ces méandres du parcours du mouvement nationaliste, depuis vingt ans et même davantage, ressurgissent aujourd’hui. Les derniers mois ont été marqués par la gestation de ces rivalités dont l’élection territoriale de juin 2021 vient de précipiter l’arrivée en pleine lumière. Une lumière froide, comme l’était l’ambiance de Ponte Novu le 8 mai dernier.

En fait, la question que les électeurs, consciemment ou inconsciemment, devront trancher le 20 juin prochain, revient à désigner quel est le « lit principal » vers lequel ces méandres devront converger pour redonner force au mouvement national.

Le leadership du courant modéré s’est imposé en 2010 avec l’entrée en politique de Gilles Simeoni à la tête de la liste Femu a Corsica, liste d’union avec le PNC. L’absence de fusion des deux démarches a été le grand échec de ce courant politique ces dernières années, comme Max Simeoni le répète inlassablement dans les colonnes d’Arritti. Elle le rend vulnérable face à ses ennemis, particulièrement l’État qui n’a pas renoncé à revenir à la Corse d’avant, celle des clans et de l’allégeance à Paris.

Le courant radical a dû acter la fin de la clandestinité en 2014, pour ne pas être marginalisé en poursuivant une stratégie périmée en Corse comme elle l’avait été auparavant en Irlande du Nord ou au Pays Basque. Mais le redéploiement d’un mouvement centré sur le soutien à la clandestinité devient très compliqué quand cette même clandestinité s’arrête. Cette conversion était le premier défi de Corsica Lìbera durant la période faste de Pè a Corsica durant laquelle Jean Guy Talamoni a présidé l’Assemblée de Corse.

L’opposition de Core in Fronte à la majorité nationaliste sortante a tenu avant tout aux rivalités intestines au sein du courant radical. Les raisons en sont mystérieuses pour le grand public, mais le constat est là, elles ne se sont jamais résorbées tout à fait.

Face à ce paysage politique éclaté, les forces politiques traditionnelles, lourdement défaites en 2015, puis écrasées en 2017, se reprennent à espérer et pensent pouvoir revenir au pouvoir dans le sillage de Laurent Marcangeli réélu au premier tour maire d’Aiacciu. L’État, manifestement, place tous ses espoirs dans un tel scénario, et son opposition à Gilles Simeoni est de plus en plus visible et décomplexée.

Dès lors les données sont complexes, mais l’équation est simple si on veut aller vers l’autonomie de la Corse en rassemblant le peuple corse dans un projet collectif et durablement majoritaire. Le courant modéré est le plus à même de favoriser un tel rassemblement, avec une capacité d’ouverture, incarnée par Gilles Simeoni, qui a permis d’obtenir jusqu’à la majorité absolue des votes en décembre 2017.

Aussi, les 20 et 27 juin prochains, je voterai pour Gilles Simeoni. •