Pastori di Corsica

« Usi sacri è prufani »

Pierre Jean Luccioni, Philippe Walter, les Éditions Alain Piazzola : de cette équipe est né le précieux premier volume (car d’autres suivront !)                 « Pastori di Corsica ». 375 pages d’un ouvrage superbe de témoignages et de photos toutes aussi magnifiques pour nous raconter cette Corse intérieure et profonde, mieux nous faire comprendre ses richesses et le danger de la perte d’une identité précieuse pour l’humanité. Car, comme le dit Pierre Jean Luccioni, passionné de cette culture de traditions et de savoir-faire, « on s’installe désormais dans l’urgence, chaque jour qui passe, c’est un témoin qui disparaît, emportant avec lui une somme de connaissances irremplaçables ».

L’art di a pace (omoplate) a été pratiqué en Corse jusqu’aux années 1960. Ces anciens chevriers d’Ascu, René Carboni, Francis Mercuri, Joseph Viti (de g. à dr.) ont vu pratiquer ce rituel divinatoire.

Pierre Jean Luccioni a pris son bâton de pèlerin pour rechercher, collecter et nous rendre toutes ces merveilles et ces secrets cachés de nos villages et des pratiques ancestrales transmises au cours des âges. Car ce premier volume s’intéresse aux rites et croyances « où se mêlent profane et sacré, refoulés au fond de (la) mémoire». Plus de six années à travailler sur cet ouvrage, mais en réalité plus de 20 ans où le journaliste s’interroge, s’inquiète et, in fine, milite contre l’oubli et la disparition de ces marqueurs très forts de notre identité collective. Son travail est considérable. Il faut absolument acheter le livre pour qu’il produise en chacun d’entre nous l’électrochoc nécessaire à fabriquer « une relève ».

Car le berger est à la base de tout ce qui est « nous », notre histoire, notre culture, nos traditions… Ils étaient à l’origine de ce qui a fait la Corse et c’est bien cette tradition agrosylvopastorale qui a fabriqué l’âme de notre peuple.

« Pour décoder ce patrimoine immatériel » dit encore Pierre Jean Luccioni, « j’ai donc cherché un spécialiste de la mythologie et c’est le hasard d’une recherche sur internet sur la vie de Sant’Antone qui m’a mis sur la piste de Philippe Walter ». Chercheur, écrivain, Philippe Walter en effet, « commente et livre des clés d’interprétation de cette mémoire du pastoralisme corse, en se focalisant sur le calendrier, les rites, les croyances et les récits des bergers, tels qu’ils émanent de l’enquête. Il pointe l’interpénétration profonde du sacré et du profane, c’est-à-dire du paganisme et du christianisme dont l’équilibre réussi est une des clés de l’identité corse »…

Bénédiction du troupeau par l’abbé Ange Michel Valery chez les Penciolelli di Corti.

Après une première partie consacrée à l’histoire, à la mythologie, à la religion, l’ouvrage livre ainsi les témoignages des bergers suivant « l’ordre du calendrier annuel, rythme de la vie pastorale selon la logique immuable des saisons » et des moments forts de la vie des villages ; mais il nous ouvre aussi à cet univers de rites et de croyances à la fois profanes et sacrés, avec les gestes, les expressions, le respect des traditions, et l’attachement aux pratiques ancestrales. De l’amour donc, de cette âme corse pétrie au cœur du maquis dans sa relation avec la nature, avec les hommes et avec les animaux, de l’amour, voire même une certaine crainte à ne pas braver les usages et « la magie » telle qu’elle se perpétue de génération en génération.

Rien qu’à lire les remerciements à la fin du livre, on est surpris par le nombre de personnes rencontrées et interrogées, et on mesure à la fois le travail de recherche et la passion de cette terre et de ses usages, que vit Pierre Jean Luccioni. Il avoue avoir collecté 40.000 photographies et plus de 200 heures d’images… C’est dire ! Et il a donc entraîné avec lui Philippe Walter qui a trouvé là un envoûtant sujet d’études. Les deux hommes se complètent à merveille pour nous restituer un ouvrage d’une grande qualité. Bravo !

On attend avec impatience les volumes suivants !

Fabiana Giovannini

Le rituel di sfumà (enfumer) les troupeaux, pour chasser les mauvais esprits des enclos, est toujours pratiqué par les derniers bergers di u Tàravu di u Cuscionu. Marcel Alliotti aux
bergeries di u Scrivanu (Palleca).

En préparation dans la collection « Pastori di Corsica »                                      

Tomes 2 et 3. Capraghji è pecuraghji (fromages, races laitières, conduite des troupeaux) 

Tome 4. Pastori è reghjoni : Le pastoralisme à travers l’histoire.

Tome 5. Esse è campà : modes de vie et savoir faire.

Tome 6. Pieve è pastori : bergers et territoires.

 

Les bergers utilisaient l’eau di a petra lunaria pour faire des ablutions quand ils avaient mal aux yeux. Jean François Grisolia, chevrier di a Penta di Casinca.

U parè d’Edimondu Simeoni

“la démarche n’est aucunement ancrée dans le passéisme ; c’est une contribution majeure à la connaissance d’un des principaux piliers de l’histoire de la Corse rurale : le pastoralisme insulaire, lui-même partie intégrante de ce domaine à l’échelle méditerranéenne.
Ouvrage de vérité, de mémoire, de gratitude et de valorisation publiques, il réduit à néant les accusations sottes de la fainéantise corse ; il éclaire a giorno le courage, le travail forcené de ces hommes et des ces femmes, leur frugalité, le goût de la poésie et du chant, les nécessités impérieuses de la vie communautaire
et son corollaire, la solidarité ; leur société qui a donné naissance, en grande partie à la nôtre, reposait sur des valeurs et des principes dont les jeunes générations peuvent et doivent s’inspirer pour préserver la pérennité du peuple corse, accueillant, généreux, pacifique et construire un Pays développé, plus juste, fraternel, pétri des valeurs de l’humanisme. Le message implicite et involontaire de nos frères, les bergers, était, en ce sens, avant-gardiste. “

Le petit pain béni di Sant’Antone donné
à une brebis va protéger le troupeau. Vincent
Curalucci, berger à Tarabucetta (Fìgari).